La maladie, avec laquelle il luttait depuis de longs mois, a eu raison de lui, Claude Panier s’est éteint ce 22 avril 2021. Une expo était en préparation “De La Guerre” , orchestrée par lui-même de son vivant, elle sera visible les 6, 7 et 8 mai prochain à l’ancienne imprimerie de l’IGN à La Cambre.
L’artiste était un passionné de la Renaissance et surtout d’un peintre qu’il vénérait par-dessus tout : Paolo Uccello. Il a vécu la dernière phase de son parcours de vie en se plongeant dans l’étude d’une des plus célèbres créations du Maître florentin: La Bataille de San Romano. Un triptyque figurant une bataille entre Florentins et Siennois.
Son triptyque, réinterprété, a été le fruit d’une longue maturation. Ce projet, longtemps resté sur papier, a pu se finaliser au cours de 2020-2021, alors qu’il luttait contre la maladie. Son approche se veut universelle, il contourne l’obstacle de l’enjeu du conflit territorial, inscrit dans un temps donné, pour le distendre dans le temps de l’histoire de l’art. Les trois volets qui le constituent relient la préhistoire à notre époque contemporaine. En évacuant le conflit territorial, il rend ainsi hommage au corps de la femme qu’il replace au centre.
Flux News lui rend un hommage en publiant deux textes d’amis proches: Catherine Warmoes (lettre à Claude) et Yves Depelsenaire, un texte à découvrir dans le prochain FluxNews 85 qui sortira en mai prochain.
L.P.
Claude Panier: De la Guerre (2020-2021)
Scènes Primitives
Scènes Archaïques
Scènes Contemporaines
Il ne s’agit pas ici de rendre compte d’une bataille de Territoire en particulier, mais de stratégies de conquête et du viol des femmes comme Arme de destruction massive , la négation du Corps féminin passé par « l’Épée phallique » de l’homme en temps de guerre.
Les yeux fermés. La bouche ouverte.
C’est la Nuit, toujours la nuit.
Le cri aphone
Les femmes comme territoire à conquérir , les Hommes inventent le patriarcat.
Les Mythologies inventent les fictions du Pouvoir.
Les Religions les théorisent et les justifient.
Elles inventent le mépris et la négation du féminin!
Ces fictions s’imposent aux Esprits ignorants !
L’ignorance prend le Pouvoir !!!
Pour Claude Panier.
Cher Peintre,
Le triptyque monumental occupe, comme dans une chambre du Palais Médicis en 1492, une grande partie des murs de ton atelier magnifique. Il témoigne à la fois de ton regard subtil, de ton engagement, d’une vision singulière, de ta liberté et de ta volonté d’artiste. Tu es assis à ton bureau et tu portes un béret afghan ; l’atour, l’œuvre et la pensée te rapprochent du peintre de la Renaissance Paolo Uccello.
Les peintures gorgées de paraffine captivent. Leurs présences s’annoncent par la dimension, la texture et la couleur. La matière happe et, très rapidement, la subtilité du geste et de la construction se font voir. Tu annonces le drame.
La femme est au centre de la représentation, sur un terrain de batailles.
Hier, les corps féminins, peints parfois avec le sang des menstruations, apparaissaient en sous-couches et le dessin souple flottait dans un espace translucide, clair et doux. Tu inverses aujourd’hui le processus. La peinture d’autrefois est radiographiée.
L’œuvre actuelle est ténébreuse. Les trois tableaux « De la Guerre », sont couverts d’une lasure acajou. La surface semble inondée de sang, celui de l’origine du monde, mais surtout, celui des meurtrissures, celui des viols, des mutilations et des massacres de ce monde qui tourne mal.
Tu as gratté, griffé, gravé la couleur du tableau pour tatouer sa peau séchée.
L’œuvre donne à voir une chair à vif.
Tu évoques, pourtant et surtout, la féminité, la tendresse, l’amour. La silhouette sombre et fluide d’une femme qui semble voguer nous rappelle sa grâce.
Si tu nous racontes la beauté du monde, plus encore et paradoxalement, tu nous instruis de ses dangers. Tu nous mets en garde. Le contour en pointillés d’une personne endormie, gisante, renvoie à la souffrance ; la femme paraît blessée, brisée, la tête posée sur un caillou.
Tu as caressé et pansé les blessures des peintures avec des feuilles d’or. Ces marques de bienveillance ont été absorbées par la paraffine, phagocytées par la matière sous-jacente gourmande de lumière.
Tu as rassemblé, assemblé, modelé. Tu as mesuré et posé le temps. Tu as construit, déconstruit et structuré l’espace par des symboles choisis et dessinés avec précision. Ainsi, on reconnaît la table de jeu que tu affectionnes et le mazzocchio du peintre de Florence. Ces objets mathématiques, tracés au scalpel sont déplacés et recomposés comme des pions, présages du destin.
Tu attestes de la puissance de l’Art ; tu nous renvoies aux dessins rupestres et à la sculpture des temps anciens.
La statuette paléolithique, la Vénus de Willendorf, prend place dans la scène, debout, au centre des combats. La femme résiste. Elle traverse le temps.
La guerre est un sacrifice inutile! Les pics, les lances, les heaumes, les casques, les crochets et les boucliers représentent des signes de menaces. Le relief d’une pièce métallique engloutie révèle la tragédie.
Le monde est un échiquier qui augure le désastre.
Cher Peintre,
Cher Claude,
Tu portes l’étendard du dessinateur pariétal et de l’artiste grec attique, de Paolo Uccello, Mantegna, Goya, Picasso, Fautrier, Tapiès, Bacon, Beuys, Kiefer, Cy Twombly et Kara Walker.
Tu t’es fait historien, archéologue, pédagogue, anthropologue, philosophe, humaniste et poète.
Tu es un penseur.
La dialectique étourdissante de ces trois scènes stratégiques et flamboyantes nous rappelle que l’histoire se répète et que le drame existe. Elles actent que « ce Monde est à créer, à imaginer, à inventer ! A penser »* sans relâche.
L’artiste affronte avec ténacité et courage.
Catherine Warmoes
Le 18 et le 19 avril 2021
Pour Claude Panier, De la Guerre. D’après la bataille de San Romano.
- Du Dessin, Claude Panier, Mai 2010, catalogue exposition Un dessein, une option, p 21, La Cambre 2010
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