Pendant l’une des périodes les plus calmes et désertes, la VUB a organisé en association avec et dans les locaux de Bozar à Bruxelles, une des expositions les plus imaginatives sur et avec la Chine.
Il y a eu un nombre incalculable d’expositions d’art chinois ces dernières années ; il est de bon ton de faire venir des Chinois et la plupart du temps ils sont exhibés comme dans une enclave-présentoir, transplantés à la perfection; comme des produits qui ne sont associés avec rien d’autre que leur contexte « lointain » et leur logique économique d’une production de masse et de contrefaçon.
Pour l’exposition montée par le Professeur Hans De Wolf en étroite concertation avec Xu Bing, l’approche a été bilatérale et uniforme. Les axiomes de départ tutélaires (?) sont magnifiquement décrits ainsi:
“Pour la toute première fois, une sélection exclusive d’artistes chinois est présentée dans une grande capitale européenne, dans le cadre d’un dialogue franc et ouvert avec d’autres artistes issus du monde entier. Les artistes chinois ne se distinguent plus d’abord et surtout par leur identité chinoise, ils sont des contributeurs appréciés au débat universel que nous appelons les arts visuels”.
Cette idée de départ se transforme en une interaction esthétique et dialectique donnant lieu parfois à des frictions entre le langage artistique souvent clair des Chinois et les œuvres exceptionnels d’autres artistes du monde qui frappent sans doute davantage par leur distance, leur discrétion et leur complexité.
L’exposition est articulée autour d’un certain nombre de thèmes dont les titres constituent un mode d’emploi pratique permettant de comprendre les liaisons transversales qui caractérisent cette exposition.
Dans la salle “L’héritage du langage”, on peut visionner une vidéo mesurant plusieurs mètres, comme une bannière géante, un immense voile slogan, dans laquelle Xu Bing présente “The Character of Characters”, une animation capable de vous balayer d’un seul souffle toute une biennale d’art vidéo comme Contour Malines.
L’invention d’un nouveau langage est pour beaucoup d’artistes un outil permettant de donner une autre lisibilité à la réalité. Dans un langage imagé “dessiné” de manière fluide, l’artiste Xu Bing arrive à créer une animation s’enroulant sur elle-même dont le contenu est continuellement généré à partir de ce qui précède, à l’instar d’une boule de neige. C’est une expérience visuelle fantastique dans laquelle l’artiste indique que la signification signifie l’intersection d’un foisonnement, ou non, de signes conventionnels. Xu Bing illustre ce phénomène de manière littérale avec son livre “Book from the Ground” dans lequel il développe un langage basé sur les icônes internet universels, comparable à l’Espéranto de jadis.
L’œuvre magistrale de Xu Bing est mise en dialogue dans l’espace avec, entre autres, le patchwork de Alighiero e Boetti, une série cryptique impressionnante intitulée “Alphabet Bété” de Frédéric Bruly Bouabré, ainsi qu’avec une installation linguistique illisible réduite à un tas de matière compacte de Guy Rombouts.
C’est présenté intelligemment, c’est de la transmission, c’est un discours mis en images sur l’égalité (en valeur) de la langue visuelle universelle.
“L’insaisissable précision de la peinture”, c’est le domaine du talenté Liu Xiaodong (1963). Comme la plupart des artistes occidentaux, il ne peint pas sur la base d’images photographiques. Il peint la cadence et l’équilibre de personnes et/ou de situations qui prennent la pose/la pause et qui se présentent à ses yeux de manière crédible. Ah ! L’œuvre intitulé “Pink Phoenix” est un des tableaux les plus séduisants, les plus suggestifs et particulièrement bien peints qu’il m’a été donné de voir ces derniers temps. L’image d’une jeune femme joyeusement habillée sur un canapé, ses jambes formant un angle droit, fait implicitement référence aux nombreux portraits de femmes couchées qui parsèment la riche histoire de l’art occidental et simultanément à un moyen de préserver la composition de cette scène extrêmement esthétique. Liu Xiaodong est arrivé dans notre pays en mai 2015 et a peint les portraits de Joëlle Tuerlinckx et de Jan Lauwers. Ce sont des portraits pénétrants sans fioriture ni soif de psychologie.
Jan Lauwers a l’air inquiet avec sa coiffure post punk, balayant droit devant lui son regard interrogateur, et tout droit dans les yeux du spectateur…
Ces séances de peinture ont été photographié par Dirk Braeckman et ses photos sont également présentées dans cette partie de l’exposition.
Un peu plus loin, après une courte mais intéressante documentaire sur l’histoire de l’art contemporain en Chine à partir des années quatre-vingt, Song Dong régale le public avec une installation émouvante et bouleversante.
Dans un couloir-corridor lumineux de Bozar, il a su mettre en dialogue une multitude de petites fenêtres chinoises– récupérées lors de la destruction massive de quartiers populaires – littéralement comme des « déchets » anonymes mais émouvants, et une multitude d’objets d’occasion achetés aux marché aux puces de la place du Jeu de Balle à Bruxelles.
Cette confrontation qui s’inscrit de manière fluide dans l’architecture de Bozar signée du Maître Victor Horta, est une exacte symbiose entre ce qui est massivement effacé en Chine et repêché ici à Bozar, et les objets anonymes du marché aux puces, également chargés de nombreuses histoires de vie.
C’est de l’émotion pure, tournoyée, basée sur la logique de et entre l’orient et l’occident.
Il y a encore une section que je voudrais citer ici, et c’est “L’esthétique de la pollution” – d’emblée un sujet sensible dans le débat sur le climat entre la Chine et l’Occident. Wang Jiuliang a réalisé de nombreuses photos de la pollution massive et de la détérioration du cadre de vie autour de Pékin. Que l’on arrive à détecter une once de beauté dans les photos de toute cette crasse est surtout évident dans un espace d’exposition neutre tel que Bozar… … mais la dure réalité sur place de ces pauvres bougres qui trient le plastique dans cet amas de crasse immonde est une toute autre histoire. C’est assez habile de la part des commissaires de montrer ici des œuvres correspondantes d’importants photographes occidentaux tels que Andreas Gursky et Jan Kempenaers (avec des images de la ville de Doel et sa centrale nucléaire). Dans cette salle sont également exposées deux maquettes à l’architecture utopique de l’artiste congolais Bodys Isek Kingelez, réalisées à partir et avec… des déchets.
Oui, cette exposition progresse en louvoyant à haut niveau et arrive à mettre et à maintenir en images dialectiques sévères, l’attention, l’envoûtement et la poésie de la banalité comme une notion abstraite qui se retourne contre la notion de beauté.
Je termine par la vidéo fantastique de Cao Fei “Whose Utopia – My future is not a Dream” datant de 2006, où l’on voit surgir une danseuse dans les couloirs de l’usine de lampes Osram dansant gracieusement telle une fée et se déplaçant comme un ange à travers l’immense halle de fabrication.
D’autres ouvriers se déplacent également de manière quasi psychédélique dans l’usine. Ce sont des images, accompagnées par les notes d’un guitariste visible, qui entraînent le spectateur dans un trip qui nous fait douter de la réalité de l’ouvrier chinois absent, car jamais celui-ci n’apparaît dans l’image, il reste le travailleur anonyme qui fait en sorte que les lampes que nous vissons tous dans leur douilles à la maison pour voir la lumière… restent abordables…
L’exposition Chinese Utopias Revisited – the Elephants aura sans doute un effet incandescent prolongé car c’est certainement l’exposition qui traite avec le plus d’intelligence une problématique dont l’aspect esthétique est directement proportionnel au discours.
Luk Lambrecht
augustus 2015
Bozar Brussel
17/07 – 30/08/2015
Luk Lambrecht
luk.lambrecht@telenet.be
http://www.twitter.com/luklambrecht
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