Lorsque la photo va au-delà des apparences de l’ordinaire, elle donne à ce qui a été capté par l’objectif une étrangeté qui se rapproche du mystère, une singularité qui étonne ou déride. Callahan au milieu du XXe siècle a réussi cette transfiguration à Aix. La télé semble tout transformer en spectacle ; les photos prises dans ses coulisses ramènent vers le quotidien de ceux qui y travaillent. Quant au ‘mail art’, il métamorphose en pièce unique la carte postale sans cesse rééditée.
En trois expos très diverses, le Musée de Charleroi fait passer le spectateur dans des univers hétérogènes. La résidence de Callahan à Aix lui a permis des études de la ville et de la nature autres que celles de son Amérique natale. Les archives anarchiques de la télé RTBF ravivent des souvenirs et remettent les vedettes du petit écran à portée du journalier. Quant à la « Voix postale », elle sinue entre surréalisme, dérision, provocation, interrogation.
La ville ordinaire fantastique
La manière dont Harry Callahan a appréhendé les rues d’Aix-en-Provence vers la fin des années 1950 est particulièrement singulière. Nous sommes loin des clichés auxquels le tourisme nous a accoutumés. D’abord, c’est du noir et blanc. Ensuite les photos prises évitent les piétons et ne s’intéressent aux façades que pour les formes géométriques qu’elles imposent à l’espace. Enfin, le contraste entre les maisons, l’étroitesse des ruelles et le soleil là où il luit provoque une tension entre les matières, les nuances de gris, les intervalles.
Il ne s’agit plus d’une ville où l’on vit, où on se ballade. Ce serait plutôt des décors de théâtre ou de cinéma, un peu ceux, du moins pour ce qu’il en reste dans le flou de la mémoire, que Max Douy avait conçu pour le film de Claude Autant-Lara « Marguerite de la nuit » (1955). Un environnement de lignes nettes, une épuration des formes, une économie de moyens. Un climat d’étrangeté, de silence inquiétant, de solitude qui se retrouve chez le photographe américain.
La nature fixée par Callahan tient de l’abstraction. Les végétaux qu’ils montrent sont une sorte de fouillis inextricable, un ensemble de formes ondulantes. Une masse compacte qui s’oppose à la lumière. Quelque chose de dense mais pas d’impénétrable. La preuve en est quand il fait surgir Eléanor, sa femme, du sein de la végétation, quand elle devient une créature appartenant non plus au fantastique mais bel et bien au merveilleux.
Ses prises de vue nocturnes en font un nyctalope. Il parvient en effet à rendre perceptible toute silhouette humaine qui fréquente les lieux. Pourtant l’obscurité l’emporte. Mais quelques détails essentiels surgissent du noir le plus dense. On voit, même s’il ne s’agit que de deviner. On imagine ce qui domine alors pour le personnage qui traverse l’espace saisi sur la pellicule : l’importance des bruits résonnant dans une nuit au climat plutôt glauque.
Le quotidien brut familier
Depuis l’installation permanente du petit écran dans nos salles de séjour, la mémoire collective a pas mal d’éléments communs à presque tous les citoyens. De l’éphémère des émissions, il demeure des photos de plateau, de promotion, de reportages. Le plus souvent sans aucune intention ni recherche plastique. Certaines sont anonymes, d’autres émanent du service communication, d’autres encore d’agences officielles. Cela constitue un gigantesque pêle-mêle où puiser à partir de ses souvenirs personnels que la Société de Numérisation et de Valorisation des Archives audiovisuelles (SONUMA) a rassemblé et s’efforce de conserver.
D’abord, la mire, aujourd’hui inutile puisque les stations émettent 24h sur 24 ; puis les fameuses speakerines qui, depuis le début des années 1950, se sont succédé, les animateurs qui ont été au cœur de jeux aux succès divers. Ensuite, les journalistes qui ont donné des orientations plus ou moins singulières à l’information. S’y ajoutent les vedettes de la chanson ou les stars du cinéma qui ont été interviewés ou ont joué dans des ‘dramatiques’ comme on disait à l’époque. Il convient de ne pas oublier que l’idée de « Au théâtre ce soir » qui fit les beaux soirs de la télé française est née sur la chaîne belge grâce à l’enregistrement public de « La bonne planque » avec Bourvil.
Au fil des années, voici l’inusable « Jardin extraordinaire », « Visa pour le monde », « Jeux sans frontières », les entretiens de Selim Sasson avec les monstres dits sacrés et les réalisateurs, « Zygomaticorama », les reportages de « Neuf Millions » et ceux de l’équipe sportive…
Mais il y a également des clichés pris dans les coulisses. On y voit des gens qui travaillent, se relaxent, se préparent. On y rencontre des artisans invisibles à l’écran. On se fait une petite idée nostalgique de la télé d’avant, celle qui était encore en noir et blanc jusqu’en 1971 avant de passer à la couleur. On farfouille dans cet étalage de photographies témoins. Et les réminiscences remontent derrière le titre de la formule de l’époque « En léger différé » !
Une autre salle du musée se met aussi au clin d’œil de connivence en détournant ce que la carte postale peut avoir de banalité. Dans cet aperçu de ‘mail art’, elle est revue par des plasticiens, détournée, réinventée. De produit édité en multiple de multiple, elle se retrouve pièce unique et donc œuvre d’art.
Léopoldine Roux transforme un vieux pont en monokini à pois blancs sur vernis à ongles rouge. Jean Le Gac accumule une impressionnante série de rochers qu’il suggère d’escalader. Côté collage, voici John Stezaker ou Camiel Van Breedam. Le tourniquet de Plonk et Replonk s’amuse au pastiche. Et, pièce prêtée par le Centre Pompidou, la collection temporelle des envois quotidiens durant deux mois à un collectionneur par On Kawara indiquant l’heure de son lever. L’insolite et l’humour sont ici au rendez-vous.
Michel Voiturier
Musée de la photographie, 11 avenue Paul Pastur (place des Essarts) à Mont-sur-Marchienne jusqu’au 24 septembre 2017. Infos : +32 (0)71 43 56 10 ou http://www.museephoto.be
« Henry Callahan – En léger différé – Par voix postale » in Photographie ouverte, Charleroi, avril 2017, 38 p.
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