L’actuelle expo que Bob Verschueren a intégrée aux ruines somptueuses de l’abbaye de Villers-la-Ville convoque les figures de style des mots pour les incarner en images sculptées.
Les œuvres dispersées à travers les vestiges architecturaux de l’ancienne abbaye cistercienne prennent plaisir à jouer avec l’analogie, la métaphore, la métonymie, l’oxymore… Cela tout en misant sur une symbolique liée à la construction des lieux autant qu’aux activités qu’ils abritaient.
La première création s’intitule « Reliques » et forme un cône en forme de dôme. Il s’agit d’un entassement, d’une accumulation de branchages d’apparence cylindrique qui s’entrecroisent formant un jeu géométrique d’obliques entre cascade figée, dépotoir organisé, bucher prêt à flamber. Le tout en résonance visuelle avec les ogives de l’ancienne cuisine abbatiale.
« Ralliement » se présente comme un agglomérat de deux cents nichoirs en bois. Ils s’agglutinent comme ces habitations à flanc de coteaux qu’affectionnent les touristes. Ils s’accumulent comme des habitats pour migrateurs ou pour migrants. Ils sont simultanément individuels et collectifs. Ils semblent s’être rassemblés comme autrefois les gens qu’attirait l’institution monacale. Ils constituent ainsi un parfait oxymore puisque attestant de la cohabitation du végétal et du minéral.
Une association antagoniste similaire se retrouve dans « Les Ecritures » où un tronc plonge ses racines dans un sol de cailloux blancs, verticalité née dans l’horizontalité, pragmatisme terrien et élan spirituel. La rondeur du cercle socle s’efforce à croire en la perfection tandis que celle des traces inscrites dans l’aubier, en adjoignant au circulaire une série de sinuosités, indique les imperfections de la réalité. La signification de la sculpture ajoute alors la variété de traces temporelles incarnant des valeurs, comme les mots inscrits dans les écrits sacrés.
Imprégné par l’atmosphère historique du lieu, Verschueren se réfère aux usages qui le constituèrent. La vie monastique était rythmée par des appels de cloches. des pots en terre cuite (ustensiles normalement destinés aux jardiniers qui prennent ici une signification particulière) sont donc suspendus comme s’ils étaient des cloches. Ils sont animés d’un léger mouvement de balancement qui les amènerait à se toucher l’une l’autre et certains sont dotés d’un dispositif sonore. Le visiteur est incité à entendre une sorte de carillon imaginaire sous lequel il transite.
Certains murs possédaient des fenêtres garnies de vitraux actuellement disparus. Pour les évoquer, l’artiste a dessiné sur des bâches accrochées de monumentales feuilles monochromes en soulignant d’un trait noir les nervures de cette végétation, allusion aux supports de plomb qui maintiennent assemblésles éléments verriers.
Enfin, connivence avec l’architecture gothique, au milieu du chœur de l’église, des troncs d’arbre sont placés en oblique autour d’une souche. Outre l’opposition déjà présente ailleurs entre minéralité et végétatif, l’analogie avec l’agencement de la voûte de pierre souligne à la fois la rigueur géométrique de la construction et cet élan vers le ciel qu’on attribue à la spiritualité religieuse.
Pièce incongrue, voici soudain une chaise de bois très ordinaire en élévation quasi mystique et qui rappelle l’une ou l’autre invention iconique de Magritte. Ses quatre pieds, en effet, sont des racines comme sa toile « La tour Almayer ». Voire comme les chaussures de « Le modèle rouge » qui, elles, sont dotées d’orteils…
Enfin, à condition de considérer la pelle en tant que métonymie possible du jardinier, voici deux assemblages rendus d’autant plus spectaculaires et parodiques parce que cet outil est rouge vif. Accolés en éventail en vis-à-vis par dix, les voilà rebaptisés « Les ailes du jardinier » ou planté dans des pots et flanqué d’une truelle en guise de bourgeon, « Floraison ».
L’ensemble du site incite aussi à considérer qu’il s’agit d’une allégorie de l’histoire, incarnation paradoxale de la durée du temps qui passe inexorablement et de la précarité d’une construction conçue pour être inébranlable et néanmoins se dégradant en une usure que tempère la volonté des hommes afin de conserver leur patrimoine.
Michel Voiturier
Jusqu’au 23 avril 2023, « Fragiles natures » est visible en l’Abbaye de Villers-la-Ville. Infos : +32 (0)71 880 980 ou https://villers.be/fr/expo-bob-verschueren
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