L’expo à ne pas rater !
Il vous reste jusqu’au 28 avril pour découvrir ou redécouvrir la magnifique exposition dédiée à Bill Viola. Une question à se poser concerne la meilleure méthode pour aborder ce parcours gigantesque qui brasse du temps et de l’attention. Dans ce contexte, je me contenterais ici d’aborder ce qui à mes yeux préfigure la méthode idéale pour ne pas sortir de cette exposition avec un semblant d’indigestion d’images et de saturation d’appétit. Un constat : si on veut tout voir et aborder chaque installation avec le timing qu’elle mérite il faudrait plusieurs heures pour en venir à bout. Je vous conseille donc la méthode la plus digestive qui consiste à faire preuve d’intuition et de bon feeling. Il vaut mieux sortir de cette exposition avec un choc émotif à la clef et un reste d’appétit plutôt que de subir un déluge d’informations et d’images qui nous renvoie à ce que nous vivons chaque jour à travers nos IPhone et autres machines infernales. Comme le répète abondamment Bill Viola : « Ne pensez pas l’art vivez le ! ».
Je conseillerais donc aux visiteurs d’aborder l’exposition en privilégiant quatre ou cinq installations qui font appel au primordial : notre instinct. Et pourquoi pas, pouvoir replonger une petite heure dans la collection de la Boverie avec ses chefs d’œuvres intemporels (1) en gardant un peu d’envie pour s’arrêter cinq minutes devant le moniteur vidéo concernant Jacques Louis Nyst et méditer devant « L’objet » cafetière bien gardée par son gardien. (2) Revenons à notre expo principale. Pour l’avoir testée à trois reprises, je me contenterais de ne vous citer que trois installations qui pour moi valent le détour. Si l’exposition fait un peu doublon par rapport à l’expo montrée au Grand Palais à Paris en 2014, reconnaissons que le parcours du musée de la Boverie redessiné par Tempora sur les conseils avisés du studio Bill Viola a le mérite de nous plonger dans une expérience immersive du plus haut niveau. Coupés de la réalité, nous avons l’impression d’entrer dans une chambre noire et de vivre une succession d’expériences singulières visuelles et auditives. L’idéal pour les vivre avec ses tripes, c’est de se laisser traverser par nos émotions. La majorité des œuvres présentées nous parlent chacune de méditation sur la naissance, la mort et le cycle de vie. Sur ce que l’art (celui qui ne s’inscrit pas dans la représentation), nous apprend depuis les origines, ce dialogue avec l’invisible qui fait dire à Viola qu’avant de quitter ce monde, il faut léguer un héritage pour les générations futures. Cette forme d’héritage se construit chez lui sous la forme de récits qui nous plongent en pleine conscience dans ce qui nous attend tous et que nous traversons tous, du trauma lié à la naissance au trauma lié à notre propre mort. Dans son installation vidéo Ocean Without a Shore l’artiste nous parle de revisitation liée à la perte d’un être cher. Montrée pour la première fois en 2007, à la 52e Biennale de Venise, dans l’église San Gallo elle nous est présentée de nouveau dans une configuration idéale reliant trois tableaux en mouvement. Trois portes relient l’ici et maintenant à l’au-delà. Partant de l’obscurité profonde, le franchissement d’un semblant de cascade est l’élément qui nous plonge en pleine lumière face à face aux retrouvailles d’un être cher disparu. Sous le signe de l’apparition et de la disparition une visitation surprise qui se vit uniquement dans un rapport épiphanique : dans l’intensité de l’in situ, une présence est physiquement réactivée par la magie de l’image digitale. La séquence vidéo décrit une présence humaine, homme ou femme, qui l’espace d’un instant revient nous rendre visite et une fois réincarnée se tourne à nouveau pour repartir d’où elle est venue. La mise en scène se révèle juste, sans basculement dans un pathos qui risquerait de dénaturer une rencontre unique. Bill Viola partage la croyance des grands mystiques en l’âme humaine migrant après la mort et revenant se manifester dans l’ombre des choses. Le désir de communiquer avec les morts qui ne sont pas morts préside à la réalisation de l’installation nous rappelle Régis Cotentin dans son texte du catalogue de l’exposition. Cette sensation de vie après la mort et de parcours initiatique provient sans nul doute de cette expérience vécue par l’artiste à l’âge de six ans où il manque de se noyer dans un lac. Immergé un long moment au fond de l’eau, il vit une expérience extatique qui lui fait découvrir le hors champ. Vivre la mort de son vivant est probablement l’une des expériences les plus riches et éclairantes sur le sens de la vraie vie. Pratiquement toutes les vidéos de l’artiste sont reliées à cette thématique du mystère du passage. La fin de l’expo est très suggestive elle aussi. Avec Inverted Birth de 2014, l’artiste nous dépeint sur un écran de cinq mètres de haut arrimé au sol, cinq étapes de transformations violentes. Au début, un acteur se tient dans l’obscurité baignée subitement d’un liquide noir, le sonore des projections est ici très important, au fur et à mesure de l’intensification des coulées, une sensation de peur s’installe, le flux ascensionnel se transforme en un liquide rouge qui fait penser au sang, l’homme se tient debout tendu sous ce déluge, puis une autre transformation survient avec un flux de liquide blanc qui amène une sensation de relâchement et de bien-être qui vire à l’apaisement dans la lumière qui petit à petit s’installe. Cette métaphore inversée d’un rituel de vie, de la naissance à la mort nous plonge directement dans le passé, je pense, ici aux franchissements d’une étape et aux épreuves initiatiques de renaissance liées à l’immortalité de l’âme que faisaient subir les initiés du culte de Mithra à leurs adeptes. Une religion à mystères dans l’antiquité romaine qui a pris son essor à la fin du premier siècle. Cette vidéo gagnerait à être vue dès le début de sa projection, de manière à pouvoir vivre plus intensément les différentes étapes de son déroulement. C’est ici que les gardiens auraient peut-être un rôle plus participatif et primordial à jouer. Ces croisements dans le temps liés au chiffre cinq se retrouvent tout au long du parcours, avec Going Form By Day de 2002, un cycle d’images numériques en cinq parties explore les grands thèmes de l’existence humaine, dont celui de la renaissance et de la mort connecté à la société et à l’individualité. Ces cinq séquences durant chacune environ une trentaine de minutes sont projetées en boucle et synchronisées. Pour entrer dans cette salle le visiteur passe dans un sas où le feu et l’eau dominent, installation immersive reprenant à elle seule l’ensemble de toutes les préoccupations de l’artiste.
Le menu est riche et varié.
Les thèmes sont nombreux et nous font voyager dans le temps.
Une vidéo de 1992 Slowly Turning narrative nous rappelle que Viola a été à un moment de sa vie l’assistant de Nam June Paik. Au centre d’une grande pièce, un écran immense tourne lentement, les deux faisceaux de projecteurs déforment les images projetées d’une scène connectant de jeunes enfants à un adulte les scrutant. Sous la forme d’images miroirs renvoyées cette mise en scène nous fait entrer dans le cœur du processus narratif. Encore une fois, la bande son joue une place prépondérante. Non loin de là, quatre petits écrans plats, Four hands de 2001, présentent des images animées en noir et blanc de quatre paires de mains filmées de face, Les motifs symboliques de ces trois générations de mains me posent question. Interrogée sur le sujet voici les commentaires de Csilla Kemenczei, psychanalyste jungienne : « Cette vidéo me touche profondément. Elle me parle à plusieurs niveaux. Il y a un cycle en trois phases : se rencontrer, se connaître et puis se reconnaître. Ce sont des étapes qui nous relient avec nous-même au niveau de l’intime. Dans tous liens transgénérationnels, il y a des liens qui s’effilochent. Une patiente peut se rencontrer avec elle-même si elle se connecte aux racines. Les mains c’est comme les racines. » (…) « Au niveau de la symbolique, Il existe une alchimie des Rose-Croix, les cinq doigts de la main sont liés au processus alchimique. Les mains ont leur part d’animalité, elles parlent de nos origines. Dans la tradition des Rose-Croix les mains symbolisent souvent l’action, l’homo faber et la manifestation des idéaux spirituels. »
Pour ceux qui souhaiteraient en savoir plus, un catalogue édité par Tempora est disponible où quelques textes inspirés donnent des clefs pour pénétrer l’œuvre de Bill Viola.
Lino Polegato
1 Je vous conseille vivement de visiter les collections du musée en vous attardant sur les mains. Une façon de créer du lien avec l’expo de Bill Viola en faisant quelques belles découvertes au niveau notamment des Petits maîtres anonymes.
2 : Le choc de cette petite visite consacrée à notre Bill Viola régional, Jacque Louis Nyst rétablira un reset salvateur. Entre le gigantisme des installations vidéo de Bill Viola et le minimalisme poétique d’un dialogue improvisé entre une cafetière, un artiste professeur, un regardeur et un gardien nous fêterons dignement le centenaire du surréalisme à la belge.
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