Bestiaire pour zoo fictionnel

Jean Ransy, “Jardin Enchanté”, 1983. Collection du musée © TAMAT.jpg

En regard des pièces de la collection permanente avec ses tapisseries du XIVe et d’un échantillon de productions plus récentes, le Tamat a réuni temporairement une part de sa ménagerie textile, complétée par des emprunts à plusieurs musées tournaisiens.

Artiste animalier présuppose une fidélité certaine au réalisme le plus figuratif. Mais souvent, les meilleurs des partisans de cette thématique y ajoutent une touche personnelle tandis que d’autres se laissent gagner par des apparences qu’influencent les évolutions de l’histoire de l’art. Si les recherches textiles se réfèrent au TAMAT, d’autres techniques et matières étendent leur vision à celles de pratiques artistiques diversifiées. Le tout chapeauté par des vers du parnassien José Maria de Heredia.

Légendes et mythologie

Prélude à la fiction, le Pégase, cheval ailé, peint au XVIIe siècle par Francken ainsi que la licorne égarée dans « Le paradis terrestre » de son confrère Van Kessel. « Le jardin enchanté » de notre contemporain Jean Ransy puise son fantastique dans une imagerie de contes anciens. Les personnages y sont hybrides mi-humains mi-félins accompagnés d’animaux mythiques comme serpents et chouette, entre symbolisme et onirisme. La variété et la vivacité des tons donnent à cette tapisserie une luminosité irradiante. 

Caroline Andrin avec « Skin Game » arbore des trophées issus de chasse au sein d’un monde rêvé. Leur stylisation accentue l’aspect onirique de ces têtes en porcelaine qui doivent sans doute l’étrangeté de leur apparence à l’utilisation de moules souples, confectionnés à partir de peaux animales. Les « Mariages blancs » de Jérôme Progin sont l’équivalent visuel des mots valises. Deux animaux, nés des traits tracés au stylo, fusionnent, hybrides, étonnés d’être devenus ce qu’ils ne sont pas vraiment, étant figés sur la frontière qui sépare naturalisme et rêve.

La « Bergère aux levrettes » de Julien Salaud a des allures champêtres et sauvages ; on ne sait plus très bien si ce qui la couvre est sa peau ou une fourrure de chevreuil ; elle brandit un bâton funèbre à la façon d’un sceptre à crâne de chevrette. L’ambiguité ne témoigne pas d’un monde purement animalier comme chez Progin ; elle tient au fait qu’un corps féminin prend une apparence bestiale. Par contre, c’est bien d’un animal qu’il s’agit avec sa « Grive musicienne » perchée sur une branche. Quant à l’équivoque, elle s’ajoute ici grâce au passage dans la catégorie des bêtes imaginaires par l’intermédiaire de l’ajout d’une plume d’autruche et d’éléments de strass.

La vidéo de Maïder Fortuné donne vie à une « Licorne » solitaire sous la pluie qui semble réelle puisque dotée de mouvements empruntés à la faune authentique alors que José Crunelle la fige, cabrée en plein galop, sur une tapisserie traditionnelle. Et qu’une dent de narval vient jouer les analogies anatomiques avec le légendaire.

Transition avec Christine Dizier. Son « Passage du temps » est une forme d’interpellation liée à la création contemporaine, puisque le pastiche du travail conventionnel en tapisserie cohabite avec la part de l’œuvre où se lisent visiblement les traces réelles du travail licier accompli ; la figuration convenue se confronte avec la réalité de la matière tissée et des intrusions concrètes comme le cuivre ou la céramique.

Réalités concrètes

L’entrée réalité zoologique se fait avec Dubrunfaut et son oiseau aquatique auréolé. C’est la période d’après la seconde  guerre mondiale où, avec « Forces murales », il relance en Belgique la création en tapisserie. On y sent l’influence de Lurçat qui venait de remettre en vogue la lice au pays de France. L‘animal est donc réaliste mais il est nimbé d’une flore stylisée et d’espaces dévolus à une luminosité particulière. Son « Plein vol », lui, est palpitant de battements d’ailes.

Un trio d’époque (Dubrunfaut, Somville et Deltour) offre une scène d’hommage très graphique à un pêcheur de la mer en train de vérifier ses filets. Ces artistes affiliés au marxisme, sans tomber dans les stéréotypes populistes de l’art socialiste de derrière le rideau de fer, conserveront toujours le besoin de rendre hommage aux travailleurs. Ce qu’atteste Deltour avec son Coqueleur, prolétaire adepte des combats de coqs familiers au Nord français et à une partie transfrontalière de la Wallonie picarde.

Avec sa louve écartelée, Elodie Wysocki mêle céramique et taxidermie. La blancheur de la bête lui enlève toute connotation fabuleuse en lui attribuant sans le dire un rôle de carpette, tandis que ses mamelles étales, plus proches de la gourde que du téton, suggèrent une prolifique fertilité.

La photo de Michel François, celle d’un livreur africain motorisé, installé au centre d’une flopée de peaux animales destinées à la transformation, ramène elle aussi à la réalité. C’est une autre photographie que réalise Koen Van Mechelen. Un gros plan de poulet, animal issu de multiples croisements entre diverses sortes de volailles, présenté comme un portrait classique d’une personnalité dont le titre « Vesta » rappelle une divinité romaine protectrice des foyers. Entre constat et ironie, entre expérimentations génétiques et sacralisation d’un prétendu progrès. Réalité peu connue, celle d’un cliché pris par Paparella. Sous un aspect chatoyant, ce qu’il nous montre est interpellant puisque ce sont des cadavres d’oiseaux morts conservés dans des réserves de musées d’histoire naturelle. Contrastes entre l’exubérance colorée et la mort figée, entre la présence vitale et la disparition dans l’oubli mortuaire.

Jérémie Gobé mêle des techniques disparates (broderie, dessin, imprimante 3D), en une unité d’intention : la fragilité des coraux. Ses compositions proposent un triple point de vue (normalité, précision microscopique, agrandissement). Une manière d’approcher une évolution liée aux problèmes écologiques actuels.

La porcelaine de Julie Krakowski effiloche dans l’espace des carapaces crevettes intégrées à de la porcelaine rehaussée d’or, suspendus au fil d’une vie précaire dans une chorégraphie d’apesanteur. Dolorés Gossie assigne, en la résidence d’une cage de verre, aquarium atmosphérique et non aquatique, des peaux de poissons auxquelles elle donne statut de sculptures et dont la matière réagit en miroitement à la lumière ambiante.

Collin est « L’ami des oiseaux ». Son dessin est délicat pour traduire très réalistement un moment fugitif de connivence entre humain et animal. Florence Coenraets s’inspire de coiffures ethniques pour confectionner une couronne composée de plumes de faisans

Valérie Vaubourg, “Chaperon”, 2014. Collection de l’artiste. © Vincent Britschgy

 Valérie Vaubourg pratique l’art de la dentellière sur des crânes et squelettes d’oiseaux. Sur leur structure anatomique privée de chair, l’aspect textural des pleins et des vides souligne le côté aérien des piafs déjà présents dans la transparence des corps. Avec « Procnée et Philomèle », elle symbolise la violence faite aux femmes à travers les fils rouges reliant deux oiseaux, métonymie d’une sanglante légende d’origine mythologique. Dentelle, broderie, passementerie servent à Lydie Chamaret pour aligner des variations sur le thème des « faux culs » dont la mode contraignit un moment les femmes à s’affubler. Il y a quelque ironie à jouer sur ce thème qui laisse ressortir la gêne générée par cet accessoire qui entravait la liberté de mouvement des élégantes contraintes à le subir. 

Compléments variés

Au passage, il convient de remarquer ce qui, parmi les tapisseries des XVe et XVIe siècles conservées ici, appartient au domaine du bestiaire. A savoir, le mouton dans « Hercule et la conquête de l’île aux moutons » ; le cheval dans « La vengeance d’Hercule » ; chien, lapin et lion dans La vengeance de Notre Seigneur » ; chameau et perroquets dans « L’histoire d’Abraham » ; cerf dans « Allégorie de l’âme pécheresse » ; enfin, chien et dragon dans des tapisseries héraldiques.

Quant aux créations contemporaines, elles donnent une idée de la richesse de la collection permanente puisqu’on a l’occasion de se familiariser avec, notamment, Edith Dekyndt, Olivier Reman, Marce Truyens, Caroline Fainke, Jean-François Octave, Juliette Roussef, Martine Doly, Zéphyr Busine, Christine Wilmes et surtout l’incontournable Tapta.

Michel Voiturier

« Bestiaire » et « Tournai territoire textile »  au TAMAT, 9 place Reine Astrid à Tournai, jusqu’au 10 septembre 2023. Infos : +32 (0) 69 23 42 85 ou https://tamat.be/

1 Comment

  1. Un évènement exceptionnel qui témoigne enfin du dynamisme et de la qualité d’un Musée qui fait la richesse de la région.
    A faire découvrir à nos amis d’Unimuse de Belgique et du Nord de la France.
    Superbe!

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