Au cœur des voix féministes – IKOB 2025

installation Huize You

L’IKOB – Musée d’Art contemporain d’Eupen décerne un prix artistique tous les trois ans. En 2019, ce prix a été attribué pour la première fois avec un focus explicitement féministe. Partant du constat que la situation mondiale en matière de discrimination de genre ne cesse de s’aggraver, l’IKOB se démarque des autres centres d’art en Belgique par sa mobilisation pour une politique artistique résolument engagée en faveur des minorités culturelles. Mis en œuvre depuis l’arrivée de Frank Thorsten Moll à la direction de l’IKOB secondé par Brenda Guesnet ( cocuratrice) le prix constitue l’un des marqueurs les plus visibles de cette orientation.

Vu le succès croissant de ce type d’initiative à l’international, la sélection en 2025 s’est limitée aux artistes des quatre pays limitrophes : Belgique, Pays-Bas, Luxembourg et Allemagne. On y retrouve onze candidates retenues parmi plus de 400 dossiers, et le résultat est une réussite totale. La qualité est élevée — tant par la scénographie, qui exploite avec finesse l’architecture du lieu que par la diversité des propositions présentées. Installations multimédias, peintures, photographies, performances : toutes témoignent de la vitalité d’un art féministe qu’on jugeait naguère superflu. Néanmoins on regrettera dans cette édition certains clichés caricaturaux prônant un jury exclusivement féminin. Une attitude radicale qui pose question, comme si les hommes n’étaient pas concernés par cette problématique.

On s’en rend tous compte, les pensées d’extrême droites sont de plus en plus diffusées de manière pernicieuse sur les réseaux sociaux. Le premier prix cette année a été décerné à Sandra Singh pour son installation «Virtual War,» un projet immersif dénonçant la misogynie en ligne. Une petite tour métallique incrustée d’écrans diffuse des archives compilées par l’artiste, invitant le public à interagir via des claviers. Extraits de conversations en ligne et vidéos YouTube composent un melting pot frontalement violent. Virtual War pose une question forte : « Les violences contre les femmes sur internet sont-elles une forme de terrorisme ? » Sandra Singh flirte ici avec les frontières du journalisme d’enquête, mêlant esthétique et technologies de surveillance.

installation Lynne Gbodjrou Kouassi & Nora Heidorn

Un autre moment fort , notre coup de coeur au sein du parcours, l’installation de Bernice Nauta & G.C. Heemskerk, composée d’un film et de dessins. Le duo sensibilise au monde végétal via une inversion des rôles en rétablissant non sans humour une hiérarchie des valeurs: les plantes s’éveillent, se rebellent et prennent le pouvoir. « Nous voulons faire preuve de solidarité avec le monde végétal, auquel nous sommes entièrement liés », déclarent les deux artistes. Les aquarelles du story-board subliment la proposition, prouvant leur finesse poétique.

Magdalena Frauenberg, elle, s’intéresse au recodage des figures iconographiques féminines par la technologie contemporaine. Elle propose, entre autres, la reconstitution d’une sculpture de Carpeaux, «l’Amour blessé» par un programmateur robotique, troublant ainsi notre rapport à l’art , une véritable mise en abyme qui déstabilise nos sacro-saints principes liés à l’unicité de l’oeuvre.

Lynne Gbodjrou Kouassi & Nora Heidorn invitent à la détente avec Naturkulturpolitik : sous une lumière douce, un amoncellement de couvertures colorées et ballons de gymnastique qui nous invitent à nous étendre et à nous relaxer. «Naturkulturpolitik» se réfère à un livre ethnographique qui plaide en faveur de la réadoptions de postures d’accouchement primitives en opposition a une tradition occidentale. Ce collectif est en réalité ouvert a toutes les interprétations possibles et s’amuse en réalité des nouvelles orientations qui s’opèrent à leurs dépens. (Voir la vidéo en ligne)

Herlinde Raeman (deuxième prix) propose une œuvre collaborative autour de la maternité et de la création, mêlant photographies argentiques et carnet de notes questionnant les tâches répétitives. Le temps, n’étant plus une contrainte, mais une liberté fait songer à Joseph Beuys et « l’art au féminin », qu’il concevait comme accessible à toutes les sphères de la vie.

Cordula Ditz intègre l’IA : dans une installation audiovisuelle de 44 minutes. Elle revisite figures mythologiques façon Disney ou manga pour interroger l’effacement des femmes dans l’histoire de l’art.

Catherina Cramer invite petits et grands à Dylan’s Room, un immense nounours-sofa rose et noir sous lequel se projette un film de science-fiction sur la fatigue chronique — une installation au parfum d’art-thérapie.

Huize You, (troisième prix) née en Chine et aujourd’hui installée près d’Eupen, propose un projet photographique documentant l’installation de deux étudiants à Berlin. Entre tradition et modernité une recherche d’identité se dévoile également dans son travail de créatrice de mode . Huize You crée des sculptures portables non genrées : un retour aux sources déployé entre image et corps.

Myrthe van der Mark présente une performance minimaliste sur flexi disque : A l’écoute prolongée, une feuille de vinyle se détériore, accompagnant un enregistrement des derniers moments de son père. Myrthe van der Mark grave le son de la perte : disque dégradable, vinyle de deuil. Fluxus n’est plus un jeu, mais un adieu.

Sophie Schmidt aborde la peinture dans une optique post-expressionniste : « J’aimerais emprunter des chemins de traverse utopiques et renégocier le corps », nous dit-elle. Son obsession érotique et vitaliste s’exprime notamment dans sa représentation démesurée d’une langue comme extension du corps.  Ainsi, Sophie Schmidt peint le corps-fleuve, la langue-organe, le sang comme moteur narratif. Elle s’expose. Rien n’est feint.

Enfin, Bethan Hughes mêle archives photographiques et installation sculpturale composée de chaises et table minimalistes. Des fleurs de pissenlits séchées rendent hommage aux milliers de femmes dont l’existence fut transformée par l’usage industriel de ce produit.

Cette exposition illustre parfaitement la richesse et la diversité de l’art féministe aujourd’hui, qui ne se limite plus à une cause, mais s’élargit à des problématiques sociétales plus vastes — Pollution misogynique sur le net, identité, technologie, environnement, corporalité.

L.P.

https://www.ikob.be

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