Alexander Ketele : le paysage mémoriel

Alexander Ketele “La mémoire du paysage” ©MusVerre Sars-Poteries

Implanté dans une région où la guerre 14-18 a laissé des cicatrices, le MusVerre fait désormais partie du paysage et du patrimoine. Après Ann Veronica Janssens, il accueille une expo d’Alexander Ketele qui prend en compte les dimensions de mémoire et de création contemporaine.

Les collections du musée se sont enrichies depuis 1969 où l’abbé Mériaux décida qu’il fallait conserver des traces de l’activité verrière qu’avait connue Sars Poteries en créant, dans l’ancienne maison du patron, un musée associatif. S’ensuivirent des expos, des stages d’apprentissage du travail verrier. Tout cela avait fini par se trouver à l’étroit dans un lieu inadapté et l’intelligente décision des responsables du département des désormais Hauts-de-France d’édifier un bâtiment spécifique s’est concrétisée depuis octobre 2016.

Un musée d’aujourd’hui

Le lieu se veut à la fois contemporain et inscrit dans l’environnement sans le défigurer. Il est bâti en utilisant la déclivité du terrain, en recouvrant les façades avec de la pierre bleue du Hainaut, ce qui permet au bâtiment de prendre en quelque sorte la couleur du temps : plutôt noir sous la pluie, presque rosé par météo de sécheresse et gris-bleu durant les jours ordinaires.

Sa conception par l’architecte Raphaël Voinchet a été de mettre en alternance des pièces largement éclairées par des baies vitrées ouvertes vers le bocage et d’autres, plus intimistes, occultées pour montrer des œuvres plus anciennes ou particulièrement précieuses et fragiles. L’ensemble ressemble un peu à une main étendant ses cinq doigts sur le sol, dans une étendue herbeuse qui accueille des sculptures en plein air. Le tout situé à proximité de l’atelier dans lequel stagiaires et artistes en résidence viennent créer et expérimenter.

La collection contemporaine comporte plus de 550 sculptures de toutes tendances, de tous pays. Chaque expo temporaire permet d’en découvrir une partie selon des thèmes chaque fois différents. Un espace particulier, près de l’accueil, « le Kiosque » permet de mettre en valeur quelques artistes durant un certain temps. Le lieu accueille des animations destinées entre autres aux écoles, une salle polyvalente servant à des débats, des rencontres, des spectacles. C’est manifestement un outil réussi pour la culture autant que pour le tourisme dans une région peu favorisée par l’économique.

Au service de la mémoire géographique

Alexandre Ketele (1954, Etterbeek ; vit et travaille à Bruxelles) a suivi plusieurs stages à Sars-Poterie entre 1996 et 2000. Il y fut en résidence voici deux ans. Il y a travaillé sur le thème de «la mémoire du paysage» et expose ce travail spécifique ainsi que quelques autres pièces.

Il existe aujourd’hui une tendance qui se préoccupe des liens qu’il y aurait entre, non seulement la mémoire historique et la sociologie mais entre la matière et l’usage qui en fut fait. Les visiteurs qui seront passés récemment à « Poétique des sciences » au Fresnoy ont eu l’occasion de percevoir comment des plasticiens assistés de scientifiques se préoccupent, par exemple, de ce qu’un fil de cuivre est susceptible de conserver des sons passés par lui avant d’être restitués par un haut-parleur.

Ketele s’est inspiré, ainsi qu’une photo en atteste, d’endroits où la première guerre mondiale a laissé des cicatrices encore perceptibles notamment du côté de Vimy (trous d’obus, tranchées, boursouflures résultant de bombardements…). Et ce qui est particulièrement intéressant dans cette exposition, c’est qu’il accompagne l’œuvre réalisée – visible dans le parc entourant le musée – des dessins et des maquettes préparatoires.

Représenter le réel sans passer par des aspects immédiatement identifiables et donc rassurants est l’apanage de l’art abstrait. Ses dessins s’intéressent d’abord aux courbes, celles qui modèlent le terrain visité. Il en éprouve la fluidité ; il en cherche l’enchaînement puisqu’un paysage est une continuité dont l’œuvre ne sera qu’une partie restreinte. Ainsi s’étalent sur le papier des mouvements s’articulant autour d’un cercle imaginaire.

Ensuite, il est question des matériaux à utiliser. En l’occurrence métal et verre qui permettront de jouer avec l’opacité de l’un et la transparence ou la translucidité de l’autre. L’aquarelle ou la gouache laisse des traces brunâtres ; leur dilution, juste à côté, laisse percer la blancheur du papier qu’un trait de crayon limite plus ou moins fortement.

Il s’agit alors de passer à la troisième dimension. Voici des papiers découpés, non comme chez Matisse pour être apposés sur une surface, mais pour esquisser les reliefs qui constitueront la sculpture. Ultime ébauche, le passage aux matières choisies, la confrontation de ce qui arrête le regard avec ce qui le laisse pénétrer.

C’est alors que l’œuvre prend véritablement présence et sens. On perçoit une mouvance circulaire, une superposition d’écailles de carapace, un brassage temporel, un tourbillon du passage. Il y a unité entre le mouvement dynamique, le statisme de l’ancrage au sol de la même façon que dans l’existence ce qui est éphémère complète ce qui subsiste car rien ne disparaît jamais tout à fait.

La conquête de l’espace

Les autres œuvres d’Alexander Ketele montrent sa préoccupation de rapprocher des matières comme verre et bois, verre et fonte ou acier avant de les installer dans un espace. Son «Balancing » s’articule autour de courbes, celles du cercle à l’arrondi continu en ce qui concerne le verre mais complétées par celle d’un ovale dont l’extrémité aplatie se donne une apparence plus aigüe qui se rapproche de l’angle et qui sied bien à la froideur de l’inox. L’idée d’oscillation contenue dans le titre se concrétise alors tant dans la forme que dans l’équilibre précaire ainsi obtenu.

Ses « Balises » et ses « Twins » ont des apparences de totems. Le dialogue qui s’installe entre les matériaux se passe en tension entre le massif du métallique et la transparence supposée du verre, comme si le premier tentait d’empêcher le regard de le traverser, comme si un secret lumineux était incrusté dans l’épaisseur.

À en croire Luk Lambrecht, le verre grâce à sa «matière transparente laisse passer le monde, au contraire du miroir qui (aban)donne à voir un monde vide en tant qu’écho insaisissable d’un instant (irrémédiablement) fugitif ». Cela se vérifie dans les « Walls (Murs) », travaux cette fois horizontaux où les parois sont à la fois vitreuses mais également obscures par endroits. Il s’agit bien de frontière, d’obstacle posé sur une surface, un territoire. Cependant, il reste possible, à défaut de franchissement immédiat, d’apercevoir ce qui se passe de l’autre côté.

Les « Presque proche » sont en acier. La matière elle-même connote une apparence acérée. Les imbrications se réfèrent inconsciemment à des lames, des tranchants, à des pièges. Ces œuvres-là sous-tendent une violence que n’atténuent pas les arrondis car ils ressemblent, dans ce contexte, a ce qui vient d’être affuté.

Michel Voiturier

Au MusVerre, 76 rue du Général De Gaulle à Sars-Poteries jusqu’au 27 août 2017. Infos : 00 33 (0)359 73 16 16 ou musverre.lenord.fr
Catalogue : Aude Cordonnier, Anne Van Latum, Luk Lambrecht, « Alexander Ketele, mémoire du paysage », Sars-Poteries MusVerre, 2017, 24 p.

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