STEPHEN SACK. LA DANSE DU VITAL ET DE L’IMMÉMORIAL

par Véronique Bergen.

         Le voyage photographique et initiatique que poursuit Stephen Sack aborde l’énigme des productions de l’esprit, la genèse des formes du vivant et l’interface entre mythe et réalité. S’inscrivant dans la geste spéculative et mémorielle de ses précédentes créations (Coin works, Chromosomic Memory, Natural History, Curiosités…), l’exposition Reborn délivre des œuvres d’une beauté saisissante. Prise dans une stylisation visuelle, l’élégance mystérieuse des créatures mi-organiques, mi-minérales qui se détachent d’un noir nocturne tait tout de leur nature. Avec Stephen Sack, le temps long des cosmogénèses, le souffle immémorial des premiers organismes apparus sur la Terre nous laissent des entités comme témoins. Des entités à cheval sur le cycle de la vie et de la mort et sur le vertige d’une pensée qui interroge son rapport à la matière. Flottant dans un cabinet de curiosités qui revisite les vanités et le mouvement de germination, les formes présentent des structures d’une splendeur vertigineuse. L’œil ne cessant de traduire l’inconnu dans le connu pense percevoir un hippocampe desséché, le squelette d’un animal amphibie, une roche métamorphique, des embryons congelés, des masques, des divinités totémiques… L’art alchimique de Stephen Sack repose sur la fréquentation de l’infiniment petit, du régime fractal et sur la descente oculaire dans les plis de la matière.

Reborn/Renaissance présente un bestiaire de feuilles mortes, un tableau des parties marcescentes des végétaux, ces éléments végétatifs qui se fanent, se dessèchent mais ne tombent pas. Là où les feuilles des arbres à feuilles caduques meurent à l’automne, les héroïnes marcescentes persistent l’hiver sous une forme fanée. Têtues, obstinées, elles résistent, s’accrochent aux branches, se cramponnent à l’arbre, refusent de trépasser. Stephen Sack les élève au rang de sentinelles de la vie : n’abdiquant pas, elles céderont la place le printemps suivant à la pousse de nouvelles feuilles. Leur rôle résurrectionnel accompli, elles se détachent de leur support, assurant le cycle de la croissance de l’arbre. Les feuilles sont les actrices ou plutôt les sorcières d’un effet Lazare qu’elles appliquent à leur organisme. A l’heure de la dévastation environnementale, de la crise des écosystèmes, de la déforestation galopante et de la sixième extinction massive des espèces animales, Stephen Sack rend hommage à la puissance vitale des feuilles qui absorbent le gaz carbonique et libèrent de l’oxygène. Le secret du mystère des plantes est le même que le secret photographique : il a pour nom lumière.   

Comme l’écrit le botaniste, biologiste et dendrologue Francis Hallé dans Le Radeau des cimes, « je dirais que ce qui compte dans la sauvegarde des forêts tropicales, ce n’est pas tant que nous ayons un besoin immédiat de ces forêts tropicales, mais que nous ayons besoin des qualités humaines nécessaires pour les sauver ; car ce sont précisément celles-là qu’il nous faut pour nous sauver nous-mêmes ». Ce pari pour le sauvetage de la mémoire ancestrale et de la pulsation du vivant affleure dans ces éloges photographiques adressés au peuple des grands silencieux. Stephen Sack questionne les mondes des non-humains, les protège du réflexe prométhéen d’arraisonnement qui fut et demeure celui de l’Occident et de la mondialisation actuelle. Si son œil-pensée est archéologique, c’est dans le sens où sa lanterne magique éclaire le présent et l’éternité à partir des âmes vibrant dans les vestiges du passé. 

Insérées dans des anciens cadres en chêne brûlé selon la tradition japonaise du Shou-Sugi-Ban (une technique ancestrale de carbonisation du bois appelée aussi Yakisugi), les photographies sont immobilisées dans un état qui tient du fossile et de la persistance de l’énergie. L’esthétique et la métaphysique du cadre répondent et font écho à celles de l’œuvre : la combustion par le feu dialogue avec la combustion-résurrection par le temps. L’imaginaire, les sens des spectateurs projettent des récits, des séquences oniriques, une symbolique ou des archétypes sur ce sanctuaire d’entités aux lois naturelles et surnaturelles. Les torsions d’une feuille qui se ramasse sur elle-même portent en elles la promesse d’une renaissance de la sève. Sous l’effet de processus chimiques, des cellules végétales sont soumises à la lignification, se métamorphosent en bois. Sous l’effet alchimique, sous l’œil de chat de l’artiste, la nature fusionne avec la culture sans perdre son altérité. Le minéral, le végétal et l’organique entrent dans une danse dont Reborn a sondé l’âme au fil d’un dialogue qui rappelle la démarche de Paul Valéry dans L’Âme et la danse.    

Reborn

photographies de 

Stephen Sack

Vernissage le 18 mars 2022 dès 18h30

Exposition du 19 mars au 23 avril 2022

Galerie Chapitre Xll

Av. des Klauwaerts 12, 1050 Bruxelles

Du jeudi au samedi de 13h30 à 18h

Stephen Sack tél 0496 52 65 07

sack.stephen@gmail.com

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