« Objet de collaboration » à la Galerie des Drapiers
Fragilitas, c’est le thème de Reciprocity 2018, la triennale du design de la Province de Liège. En résonance avec le thème de Fragilitas, le point d’attention préconisé par les Drapiers porte sur la fragilité des liens sociaux, du savoir-faire textile qui se perd et représente une fragilité sociale et culturelle. Naît alors, dès 2017, un projet reliant leur focus privilégié sur les arts textiles avec des partenaires se retrouvant en centres pour réfugiés de la Croix-Rouge.
Durant un an, le projet se dessine et sollicite toute personne réfugiée ayant une connaissance ou un attrait pour la pratique textile afin d’aboutir à un programme d’ateliers débutant au sein des centres pour se déployer ensuite au sein de la galerie des Drapiers. En avril 2018, des demandeurs d’asile déjà investis dans les travaux textiles dans leur pays d’origine ou dans le désir de se reconnecter à leur culture et pratiques spécifiques de tissages ou autres techniques nationales se sont donc inscrits aux ateliers hebdomadaires. Ensuite en été, les « pauses textiles » des Drapiers ont réuni des participants de toutes origines (de Syrie, Irak, Sénégal, Estonie, Congo, Ukraine, Lybie, Angola, Belgique) novices, amateurs ou déjà experts en artisanat textile pour créer ensemble ce qui deviendra « Un objet de collaboration ». Au fil des ateliers vont se tisser des partages de techniques, des souvenirs mais aussi des silences au cœur des trames et travaux à l’aiguille. Pour certains du groupe, venir broder c’est aussi profiter d’un espace temps suspendu, connoté d’évasion par rapport au sentiment d’inactivité vécu au sein des centres. Pour une femme, c’est trouver de manière inattendue une reconnaissance via une pratique prisée jeune fille puis disparue au mariage et à l’arrivée des enfants. Après la migration forcée, ses bouts de savoirs devenus inutiles et stériles au pays refont sens ici grâce aux ateliers et la femme qui ne parle pas français trouve progressivement une place et même un statut de formatrice au sein des ateliers pour transmettre ses techniques. Pour tous les participants, se décline une expérience qui va au delà de créations textiles, une expérience d’échanges très profonds où l’un continue le travail de l’autre, où des idées fusent et se mêlent, où petits et grands travaux trouvent chacun leur place dans l’ensemble du projet qui se déploie. Là est l’objet de collaboration. Une intimité actuelle nourrie de pratiques anciennes.
Depuis le 5 octobre 2018, les Drapiers expose le fruit de ces rencontres multiples.
Dès l’entrée de la galerie, la grande tapisserie, œuvre collective représentant une carte du Moyen-Orient, invite à retrouver l’origine perdue de nobles étoffes telles que la mousseline (Mossoul, Irak), le damas (Damas, Syrie) la gaze (Gaza, Palestine), et à redonner une connotation de richesse culturelle à ces villes en guerre. L’histoire de cette carte est très émouvante car elle s’est construite à la fois sur le lien et la séparation entre un père et sa fille depuis leur migration. La gamine de 9 ans, dans un centre en Suède, envoie à son père, dans un centre en Belgique, des photos de ses dessins dont celui de la carte. Est alors décidé par le groupe de broder le dessin agrandi.
Sous la carte, d’énormes bobines et écheveaux de toutes les couleurs sont déposés. Au mur et en vitrine trônent des tapisseries épaisses inachevées et vibrantes comme celle de la croix rouge, emblème du lieu d’atterrissage en Belgique mais aussi emblème de la souffrance de l’attente d’asile. Dans cette première pièce, des photos de tous les participants sont aussi apposées. Plus loin dans la galerie, il y a de nombreuses installations présentant des travaux de pochettes, des sacs, des réalisations bigarrées, des anciens livres de couture, des paquets de fils tel un nuancier de couleurs couvrant un mur avec à côté un magnifique début de broderie sur un tissu noir effiloché avec des strates de points, disposés comme un jardin en terrasses. Se dégagent des ambiances et des couleurs comme un marché aux épices avec les travaux à la fois simples ou complexes mais aussi surprenants comme ces singlets devenus sacs à fond brodé ou ces gants rassemblés…
L’invitation à l’exposition et aux partages lors des ateliers se prolonge jusqu’au 25 novembre. Les ateliers de tissage, broderie et tricot (du samedi matin) sont ouverts à tout public (liégeois ou étranger, novice ou déjà engagé dans une pratique textile). Les bénéfices de vente des publications (carnets avec photos et témoignages autour du projet) et de petits paniers brodés seront donnés aux responsables d’ateliers venus transmettre leurs savoirs.
Judith Kazmierczak
Expo: Objet de collaboration jusqu’au 24/11 , Galerie « Les Drapiers » 68, rue Hors-Château 4000 Liège Ouverture du jeudi au samedi de 11h30 à 18h rens.: 04 222 37 53 www.lesdrapiers.be
Broderie collective, carte d’Irak 1,60m X 2
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