Marcel Berlanger (Bruxelles, 1965) s’affirme comme figuratif. Il appartient à la lignée de ces artistes qui, depuis le XIXe siècle et jusqu’aux hyperréalistes, ont peint leurs tableaux à partir de documents photographiques. Mais aussi de planches didactiques, d’images de BD, d’extraits de films… Il ne serait sans doute qu’un réaliste de plus parmi la cohorte de ceux qui n’ont jamais dépassé le stade de la tradition si ce plasticien ne pratiquait pas une sorte de mise à nu de son processus créatif.
Traditionnellement, une exposition consiste à montrer des objets, des images que le visiteur regarde, parfois explore. Il ne s’intéresse pas, la plupart du temps, à la technique qui sous-tend la production de l’artiste. Ici, il est amené à fonctionner de manière plus agissante.
La représentation de la représentation
Berlanger a ses thèmes de prédilection. Essentiellement flore, faune et éléments minéraux de la nature. Rien de particulièrement insolite. À ceci près qu’il peint sur un matériau particulier et que ce choix mène à contempler autrement la représentation proposée. Le support modifie la perception. Il s’agit de fibre de verre imbibée de polyester qui laisse apparaître, sous la couche picturale, sa propre structure. En résulte une sorte de trame similaire à celle qui apparaissait sur les pages des quotidiens et des magazines autrefois, du même ordre que les pixels aujourd’hui.
C’est donc dans la manière dont l’image est approchée par l‘œil que tout se joue. Le réalisme apparent des œuvres s’estompe à partir du moment où un travelling avant met tout observateur en position active : s’approcher transforme l’identifiable en éléments distincts, fragments assemblés puisque la limite entre figuration/abstraction s’estompe. À l’instar de ces frontières territoriales qu’on franchit sans s’en apercevoir parce qu’on les a abolies administrativement, parce qu’elles n’ont jamais été qu’apparence pour des transfrontaliers.
Berlanger, d’ailleurs, ne se cache pas. Ne fait pas semblant non plus. Pour reproduire, il utilise fréquemment la technique du carroyage et n’efface pas les carrés repères préliminaires ; il les laisse, au contraire, grillageant le motif peint. Ainsi, un chef étoilé se comporterait-il si, dans le plat qu’il sert, il avait laissé en plus, disposées les unes à côté des autres, les épices utilisées pour la confection du mets. Par ci par là, l‘artiste laisse une infime trace colorée qui rompt sporadiquement avec le noir et blanc d’un original, non point oubli mais signe d’actes réalisés en cours d’élaboration.
Voici que le regardeur est installé dans un insidieux processus d’analyse. Ce qui est visible finit par sembler incertain. Une plante devient un puzzle dont les détails s’imposent. Un serpent donne l’impression qu’il serait né d’un réseau de traits de pinceau lovés sur eux-mêmes. Une roche en noir et blanc s’avère scindée en deux parties, comme découpée par la ligne jaune d’un laser. Une tête de mouton s’apparente à un trophée de chasse à suspendre sur un mur du salon d’un nemrod. Des chaînes étalées s’apparentent à des photogrammes de Man Ray ou des chimigrammes de Pierre Cordier.
Lorsque reproduire se pratique de manière monumentale, l’œuvre prend des allures de décor de théâtre, d’élément visuel pour opéra grandiose. Au sein de l’architecture industrielle du BPS22, cela impose des proportions démesurées et, compte tenu de la luminosité ambiante des verrières, cela permet de lire le travail de Berlanger autant en son recto qu’en son verso. Autre manière de mener le regard vers autre chose que la perception iconographique spontanée. Tandis qu’une maquette, clin d’œil pince-sans-rire, joue la matriochka en acoquinant le gigantisme du musée et la miniature du projet de l’expo, la réalisation et sa mise en abyme.
La présence, çà et là, d’éléments originels qui servirent de modèles (planches encyclopédiques, pages de journaux, photos, images télévisuelles…) conforte davantage le va-et-vient existant entre les apparences sélectionnées et le résultat artistique final. Une fois encore, la confrontation avec la source d’inspiration et sa réalisation empêche de se laisser uniquement attirer par la ressemblance au réel.
Un réel voulu tel
Artiste invité de Marcel Berlanger, Sébastien Capouet donne à voir une vidéo, « Bing », relatant le carnaval des gilles de Binche. La particularité de ce film est qu’il ne s’attache pas aux acteurs de l’événement mais à leurs actions. Pas question d’identifier des visages et donc des protagonistes. La caméra les ignore.
Elle s’attarde au contraire sur les gestes, les objets, les costumes, le mouvement. Il n’y a plus de recours à l’anecdote. Ce qui est montré, donc raconté, n’est pas une histoire avec une succession narrative. C’est ce qui serait susceptible de nourrir cette histoire qui, n’étant pas dite, reste à inventer par le spectateur.
La photographe Pauline Beugnies avait déjà exposé ses reportages sur le printemps arabe en Égypte. (cfr FN 69, p.13) On sait ce qu’il est advenu des espoirs nés de cette insurrection contre le pouvoir antidémocratique et conservateur du pays. Elle est plus déterminée que jamais d’en témoigner. Mais pas de manière directe dans « Derrière le soleil ».
La réalité qu’elle capte semble, de prime abord, quotidienne, banalement ordinaire dans des coloris qui varient, égaient, suggèrent une certaine forme de plaisir à être vivant. C’est en assemblant les photos, en les associant que se dit ce qui transparaît de la situation. Ainsi ces pièces d’habitations où l’enfermement est bousculé par une ouverture vers l’extérieur. L’une, plongée dans la pénombre, est flanquée d’une fenêtre donnant sur la ville. Une autre, encombrée de coussins chatoyants et d’une armoire restreignant l’espace vital, laisse passer une luminosité blanche par une ouverture haut placée. Une autre encore montre deux enfants en train de regarder la télé, tournant le dos à la clarté qui vient du dehors où passent des nuages.
Les portraits parlent aussi. Ils sont souvent couplés avec une deuxième photo. Le lien se tisse entre eux. D’un côté une personne, de l’autre un endroit domestique ou des objets : lettre, photo affichée au mur ou conservée sur un téléphone portable, affiche… Ce sont des rébus dont la formulation est le conflit qui étreint les émotions des proches, celles qui mesurent absence et présence car sans nul doute ces effigies sont celles de manifestants disparus lors des affrontements avec les forces de l’ordre. Les mots sont alors inutiles.
Michel Voiturier
Au BPS22, boulevard Solvay 22 à Charleroi, « Fig.(Marcel Berlanger) » jusqu’au 27 mai 2018 et « Derrière le soleil » jusqu’au 8 avril. Infos : +32 71 27 29 71 ou http://www.bps22.be/fr
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