BIP 2018
Entre chaos et espoir
L’image sous toutes ses formes. Documentaire, esthétique, explosée, plastique… Des oeuvres qui questionnent, donnent à voir l’état du monde et son évolution possible. Tel est l’humus de cette nouvelle édition.
Face à l’ état d’instabilité du monde contemporain, des artistes revendiquent la catastrophe comme un terreau euphorique et débordant, introduit Anne-Françoise Lesuisse, directrice artistique. Sans naïveté mais ancrés dans le présent, ils échafaudent des images qui parlent de demain, qui s’y jettent à corps perdu sans savoir de quoi il sera fait. Dans la profusion souvent, animées d’un esprit d’expérimentation ludique et généreuse, nouées à la mélancolie contemporaine sans en être victimes, ces images ne dénoncent plus, ne résistent plus, ne font plus de procès. Elles témoignent plutôt d’un instant vivant, d’un état de vibration, d’un présent intense qui ouvre tant sur le doute que sur le potentiel de l’avenir.
Fluo Noir, l’exposition centrale, fait notamment la part belle à des installations sculpturales, et à autant de prismes sociétaux. Le projet Big Bangers de David De Beyter, qui s’intéresse au paysage et aux pratiques alternatives, associe photographies, vidéos, archives et sculptures. Dans une approche esthétique et documentaire, il explore l’univers des Big Bangers, centré sur une pratique populaire de destruction de voitures répandue dans le Nord de la France, en Belgique et au Royaume-Uni. Pour ce faire, il s’est immergé dans le milieu pendant deux ans. Il a également récupéré des morceaux de carcasses intégrés dans son installation, dont la scénographie fluctue selon le lieu. La beauté du geste et la philosophie de la communauté résident dans le fait de détruire des voitures d’usage courant par des chocs violents qui compressent moteurs et carrosseries. Une esthétique de la destruction où, dans le jargon amateur, l’épave qui résulte du choc est appelée une « auto-sculpture », développe l’artiste. Echo d’une société qui produit ses propres ruines, le projet invite à une réflexion sur l’obsolescence et la dématérialisation.
Egalement très imposante, l’ installation de la série Vénus 2016 de Satoshi Fujiwara, faite d’un assemblage de photographies grand format comme chiffonnées, se veut une parodie de reportage / documentaire d’aujourd’hui. Le sujet devient ainsi la photographie elle-même, niant par là sa fiabilité. Le propos esthétique très puissant, se double d’un propos politique sur une société qui voue un culte au regard. Fujiwara en dévoile surtout l’autoritarisme avec des mises en scène photographiques qui relèvent d’une théâtralité brutale, souligne Anne-Françoise Lesuisse.
De son côté, l’artiste franco-américaine Dune Varela travaille la technique mixte d’ impressions sur plâtre et impressions sur faïences brisées, verres, dont les tirages sont contrecollés sur aluminium perforé par balles. Des images grand format de temples antiques en particulier, explosées au revolver de 9 mm de calibre. Ce faisant, elle questionne
la matérialité de l’image et une forme de représentation du beau, du formel au travers de sa destruction. Renvoyant à la destruction de notre société occidentale et de l’ idée de démocratie.
Roman Moriceau explore la matérialité des choses, intéressé par leur aspect industriel, plastique, chimique, tout comme par leur aspect organique, car l’Homme se trouve à mi-chemin entre les deux. Soucieux de contrôler son environnement, quitte à le fragiliser ou le dénaturer. Dans Botanische Garten, des sérigraphies à la colle et à la poudre de cuivre, sont pensées pour s’oxyder, et redonner ainsi de la matière organique aux images du jardin botanique qu’elles figurent.
La série a été conçue réalisée à partir de photographies que l’artiste a réalisées au Jardin botanique de Meise. Dans ce jardin, les plantes ne sont pas groupées géographiquement mais par type de plantes; à la même place, les plantes et les fleurs d’Asie, d’Amérique du Sud et d’Afrique sont mélangées. Cette configuration m’a permis de capturer des images de végétation utopique.
Espace et corps triturés
Pour la seconde fois dans le cadre de la Biennale, Les Brasseurs invitent de frais diplômés de l’Ecole nationale supérieure de la photographie, Paris. Huit artistes déjouent l’espace, privé et collectif, et le réel.
François Bellabas utilise l’outil photographique dans ses mutiples dérivés: argentique, numérique, smartphone. Au départ formé à la mécanique automobile, il part ici de la thématique de la voiture à Los Angeles, à partir d’images prises sur place et d’échanges collaboratifs sur le net. Los Angeles est une mégalopole destinée à s’effondrer, et l’idée est d’imaginer comment cette ville évolue. Ici, à partir d’un montage de 7’12’’.
Alfredo Coloma, lui, décrit son parcours d’artiste péruvien en France. Son job de gardien de nuit dans un hôtel de luxe à Arles prend la forme d’une résidence artistique, puis d’une installation constituée d’oeuvres produites in situ.
D’autres artistes comme Rebecca Topakian, Lila Neutre ou Guillaume Delleuse traduisent avec intensité leur rapport au corps, terrain d’expérimentations et du moi.
De rapport au corps, il est également très question dans l’exposition Ultra Normal présentée aux Chiroux, via sept jeunes photographes formés dans des écoles belges (La Cambre, ESA Saint-Luc, ARBA_ESA, Erg…). Où il est question d’états transitoires, de technologie intime et autres préoccupations d’une génération naissante. Elsa Stubbé présente une série d’images d’un de ses projets photo auto-édités, Astronomie du sous-bois, centré sur un lieu déterminé par une communauté de jeunes utopistes, désillusionnés face à la société actuelle, pour y rebâtir une tribu contemporaine. Dans Le Complexe du homard et une aproche documentaire, Cléo-Nikita Thomasson s’immisce dans les profondeurs troubles et écorchées de l’adolescence.
Image-récit
D’autres galeries combinent et mettent en parallèle les univers de deux artistes. Aux Drapiers, Léa Belooussovitch et Jean-Pierre Ransonnet, de pratique et d’âge différents, travaillent l’image non comme une fin en soi, mais comme vecteur d’un récit, d’une expérience.
Léa Belooussovitch réunit des bases de données, textes, images provenant de diverses sources et focalise son travail sur des faits d’actualité tragiques. Sur du feutre textile industriel blanc, elle reporte l’image d’origine, par un travail de dessin au crayon de couleur. Il en ressort une forme floue, abstraite. Le feutre peut par ailleurs évoquer un pansement ou un linceul. Le drame se lit au second plan, derrière la matérialité de l’ œuvre. Jean-Pierre Ransonnet, peintre assidu des forêts, étangs et ciels ardennais intègre dans son travail des images et éléments autobiographiques ou de mémoire, notamment par des collages. Et autant de façons de fixer le réel.
Catherine Callico
Biennale de l’Image Possible, jusqu’au 01/04:
www.bip-liege.org/fr/offs
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