La photographie est un moyen souvent efficace de montrer les réalités. C’est un art où le figuratif est souvent une transcription visuellement fidèle au réel.
Avec LaToya Ruby Frazier (1982, Braddock), c’est notre passé industriel qui est convoqué à travers des témoignages d’aujourd’hui. Avec Lewis Baltz (1945-2014), c’est une déshumanisation des lieux de travail bien actuelle. Les deux démarches se rejoignent puisque la première met en rapport la venue des immigrés italiens dans nos mines de charbon et sa propre vie de jeune femme noire dans des USA au racisme quasi génétique. Le second inventorie des endroits où les hommes censés y travailler sont éclipsés par des dispositifs souvent liés à l’électronique.
Frazier Noire face aux Blancs
Il y a deux volets dans la partie consacrée à la jeune photographe américaine : autobiographique et historique. L’une et l’autre prenant la forme du reportage sociologique, du photojournalisme. De cet art qui consiste à montrer la réalité en insistant sur des indices susceptibles d’éveiller une pensée critique vis-à-vis du fonctionnement sociétal.
Le quartier où vit la famille Frazier est misérable. Les citoyens qui le peuplent sont, pour la plupart, des Noirs qui vivent de peu, qui ne gagnent pas beaucoup d’argent. Les photos saisissent la famille dans l’intimité de son quotidien ; elles soulignent des détails qui mettent au jour les difficultés.
Ce n’est en aucun cas pathétique car Frazier ne cherche pas à susciter une émotion fugace propre aux démarches populistes. Elle met en exergue le milieu de vie qui s’étend à la société environnante. Elle utilise le noir et blanc avec de nets contrastes qui mettent en valeur les oppositions. Comme pour souligner la mentalité de ceux qui jugent de manière tranchée, ramenant tout à un manichéisme où les bons sont d’un côté, les mauvais de l’autre.
Le paysage est abordé, lui aussi. Les photos de bâtiments, de constructions en plongée renseignent bien sur un urbanisme de taudisation, un délabrement des usines, un espace où règne la boue, les détritus, une dégénérescence du tissu citadin.
La partie consacrée au résultat du travail en résidence à Hornu de l’Américaine est dans le même esprit. Les photos se ressemblent. Excepté qu’il y a en plus de nombreux portraits de Borains qui racontent leur existence au pays des mines. Leurs dires s’écrivent manuscrits en-dessous de leur photo montrant des personnes ordinaires parlant de leur travail d’autrefois ou de celui de leurs parents voire grands-parents. On pourrait facilement les croiser en sortant du musée, dans la rue Sainte-Louise.
De nouveau, les clichés qui s’attardent sur les ruines industrielles, sur les habitations, sur l’aménagement territorial expriment parfaitement le déclin économique d’une région qui n’a pas vu venir la récession. Qui n’a pas compris la disparition de plusieurs valeurs fondamentales même si certaines les maintenaient en dépendance ou en soumission à un système économique inéquitable.
Baltz la couleur sans les hommes
Les lieux de travail que photographie Baltz sont quasi désertés par les humains. S’il arrive que l’un d’eux se perde en ces endroits où il est supposé travailler, il est manifestement un élément négligeable, un partenaire secondaire à peine toléré par les machines qui le supplantent.
Pourtant, tout est pimpant dans les pièces visitées. Les couleurs sont sereines, rarement agressives. Il règne là, du moins en apparence, une harmonie calculée. Les formes des objets qui peuplent ces locaux arborent une géométrie équilibrée.
Cela va plus loin encore. L’impression naît rapidement d’une atmosphère aseptisée, soigneusement ordonnée, dépourvue de fantaisie. On imagine mal qu’il puisse y avoir de la poussière dans les coins ou sous les armoires. On imagine même qu’il ne doit nullement y avoir ici des maladies, des microbes ou des bactéries. On imagine que l’atmosphère doit être profondément ennuyeuse, peu propice à des échanges d’émotions ou de sentiments.
C’est l’ère de l’informatique, de l’électronique, des machines assez intelligentes pour travailler seules une fois le programme à réaliser lancé. Rien qui rappelle de loin ou de près la nature. Alors, malgré la luminosité des prises de vue, malgré la joliesse des coloris, on se dit que le monde d’aujourd’hui tel qu’il est conçu par les responsables politiques et économiques témoigne sans doute des fabuleux progrès technologiques mais offre un constat terrifiant : l’homme n’y a plus sa place. Il est même devenu, même si ce n’est pas montré à l’image, un esclave invisible.
Michel Voiturier
« Et des terrils un arbre s’élèvera » et « Sites of Technology 1989-1991 » au MAC’s, 82 rue Sainte-Louise à Hornu jusqu’au 21 mai 2017. Infos : +32(0)65 21 21 ou www.mac-s.be
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