On admet de mieux en mieux les rapports étroits qui existent entre poésie et pratiques scientifiques. Non pas qu’il s’agisse de physique ou de chimie amusante, comme on disait jadis pour qualifier les démonstrations faites en laboratoire des cours de sciences à l’école secondaire.
Au Fresnoy, il est question d’observer les métamorphoses de la nature. Du moins les interprétations qu’en donnent des artistes. Pour ce, il s’agit d’œuvres elles-mêmes soumises à la temporalité de transformations. Les processus mis en action dans ces réalisations très particulières sont soumises à l’attention des visiteurs ; elles sont en lente maturation dont il est souhaitable d’imaginer ce qu’elles deviendront ou qu’il est nécessaire de venir revoir à des intervalles plus ou moins longs afin de constater les mutations.
Edith Dekyndt et le brassage des techniques
Celle que l’on retrouve à la biennale de Venise 2017, nous accueille par l’intermédiaire d’une pièce qui résume bien sa démarche, laquelle a des accointances avec la recherche scientifique, ses pratiques, ses problématiques ainsi qu’avec l’imaginaire. Un ballon en polypropylène, gonflé d’un mélange d’hélium et d’air, flotte comme en apesanteur. Ses déplacements aléatoires dépendent de la température, de l’hygrométrie, des courants d’air… Il prend des allures de planète devenue soudain proche.
Une installation complexe, Radiesthesic Hall, fait référence à pas mal de notions dont la mise en œuvre suscite des questions essentielles quant aux liens positifs ou négatifs que nous entretenons avec la nature. L’éclairage du lieu est conditionné par les résultats d’une étude qu’un radiesthésiste effectua à partir des vibrations du sol du Fresnoy. Ces dernières sont mises en rapport de couleurs avec une échelle chromatique établie par André Bovis, déterminant de la sorte la mouvance de la coloration de la luminosité de l’endroit. Ces variations suscitant alors une perception visuelle différente des visiteurs selon le moment et leur localisation.
Une deuxième réalisation s’intègre dans l’atmosphère polychrome de la nef de l’institution tourquennoise. Intitulée L’Ennemi du peintre, elle enrobe le visiteur d’une composition sonore conçue par Laurent Dailleau à partir de la visualisation en hertz des acides aminés d’un lys, transformés en projection lumineuse. Ceci fait référence à la littérature, celle précisément de Ballard, auteur de science-fiction ayant imaginé une plante capable d’émettre des sons.
Un audio-guide propose l’écoute de textes lus, supposés réels mais dont on se demande parfois s’ils ne sont pas de pure imagination par leur étrangeté. Retour aux arts plastiques, neufs dessins géants correspondent à chaque lecture. Ils sont mystérieux. Ils ne dévoilent pas volontiers leur signification. Nous sommes, en effet, avec les recherches de Dekyndt, mis en demeure de percevoir un invisible rendu visible sans pour autant être assuré de parvenir à le décoder. L’ensemble interpelle d’autant plus que parmi ce qui est présenté, intrusion du réel, un véritable bouquet de fleurs attend, dans un vase, de se flétrir avant d’être remplacé.
Hicham Berrada et le paysage mutant
Vidéo réalisée par Berrada, Céleste indique la volonté du plasticien : si les artistes de jadis peignaient des paysages saisis à des moments bien précis de la météorologie, des saisons, de la journée, lui, tente de montrer comment il change au cours d’une durée véritable. Ce premier exemple saisit l’action au vif. Un panorama forestier verdoyant ouvre sur un ciel relativement gris qui lui sert d’horizon.
Le vidéaste a extrait du sol du cobalt. Il le met en état de combustion. De la fumée commence à se répandre dans l’air, le minéral devient aérien. Peu à peu, filmé en plan fixe, le paysage est envahit par des nuages bleutés ; le vert disparaît ainsi que le gris ; seuls se voient ces nouveaux nuages qui ont pollué l’espace. Une autre vidéo réalisée avec un fumigène et un ballon s’intitule clairement pour ce qu’elle présente : Un serpent dans le ciel.
Partant d’un texte de Strindberg, Berrada a filmé des particules de fer soumises à un champ magnétique. La prise de vue au ralenti parvient à étirer en quasi deux minutes ce qui se passe en une fraction de seconde. Le film qui en résulte fait s’épanouir une sorte de fleur minérale, aux pétales acérés étalés en rond, une floraison jamais perceptible dans l’usage courant du temps.
Carrément ancrés dans la temporalité, les installations Présage, tranche, espèces d’aquariums contenant divers éléments floraux et minéraux sont laissés à eux-mêmes après que l’artiste a parsemé dans le liquide des ingrédients chimiques. Ceux-ci agissent sur leur environnement et l’ensemble se métamorphose lentement. Une telle vision, sorte de paysage focalisé dans un espace restreint, doté d’un éclairage spécifique, provoque une fascination stupéfiante.
Ces univers apparemment immuables semblent animés d’une vie interne qui rappelle bien sûr les fonds marins mais aussi des espaces galactiques quasi infinis. Tout y est à l’arrêt sur image et néanmoins il s’en dégage une sensation de mobilité, une perception de palpitations microscopiques, une illusion d’avatar insidieux qui ne se laisse pas appréhender par le regard. D’où une envie de se planter là, pour surprendre une palpitation, un frémissement qu’on finit sans doute par pressentir au point de l’inventer. Sur un modèle similaire, une vidéo 360° dans laquelle le spectateur se trouve plongé montre les variations provoquées lors d’une performance avec introduction de produits chimiques.
Azur est également une façon insolite de renouveler la pratique d’un plasticien paysagiste. Une peinture monochrome au lavis de cobalt est accrochée à proximité de résistances électriques qui agissent sur la toile par chaleur interposée. L’altération provoquée de la sorte produit des modifications qui font apparaître des nuances, des différences de coloration et de texture de ce qui semblait uniforme.
Enfin, suprême truchement avec les sciences, un assemblage de cubes en acier organise en trois dimensions une transposition du célèbre tableau périodique des éléments de Mendeleïev que tous les étudiants ont connu à un moment de leur scolarité. Hicham Berrada y place de petits flacons contenant des produits correspondants à la classification chimique et utilisés par lui lors de ses créations. L’ensemble se pare d’un côté esthétique instinctif qui s’inscrit spontanément dans la notion d’harmonie.
Dubbin et Aaron au cœur battant d’une matière
Tels des archéologues, Melissa Dubbin et Aaron S. Davidson cherchent dans les matières les traces du passé de celle-ci. Acoustic Mirror en est une démonstration probante. De mini-céramiques de forme hexagonale sont disposées sur le sol. Elles sont de la couleur habituelle des matériaux utilisés dans cette partie du Nord de la France pour les maisons ouvrières d’autrefois, en particulier leurs carrelages.
The New Noise est une transposition vidéo du mouvement et du son. De la sciure est disposée sur la peau d’un tambour, ce qui déclenche des déplacements de matière. Ces mouvements s’associent au bruit engendré par les percussions, se donnent simultanément à regarder et à entendre.
Enfin, condensé de la démarche de ce duo étasunien, A carrier of action potentials n’est pas sans rappeler une fouille archéologique. Deux tableaux sont le résultat de la mise sur toile des réactions de nitrate d’argent, de sel et de cuivre. Ils se traduisent en formes organiques ayant quelque similarité avec des éléments fossiles du terrain minier sur lequel a été réalisé ce travail, dont une partie était liée au bruitage via interviews, bribes d’actualité, sonorités quelconques… retransmis grâce à un appareillage doté de fils de cuivre. Ceux-ci, ultérieurement découpés et intégrés à la toile, sont censés être la mémoire sonore de cette quête spatio-temporelle.
Complément logique, trois photographies en noir et blanc qui ont l’air de ramener à la surface du sol de véritables fossiles dont des fragments ont été écrasés entre deux morceaux de verre. Ce détournement de la réalité des trouvailles terrestres leur donne finalement l’apparence d’astres perdus dans quelque galaxie.
Cette exposition s’avère donc une possibilité d’appréhender notre environnement proche et même notre univers plus lointain avec une optique résolument inhabituelle. En reliant sciences et imagerie, elle met en avant le fait que la créativité artistique rejoint la démarche de la recherche savante car l’une comme l’autre se nourrissent d’analogie, s’efforcent d’expliquer le monde tant par la sensibilité que par le raisonnement.
Michel Voiturier
« Poétique des sciences » au Fresnoy, Studio national des Arts contemporains, 22 rue du Fresnoy à Tourcoing jusqu’au 7 mai 2017. Infos : +33(0) 320 2838 00 ou www.lefresnoy.net
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