Vanden Eeckhoudt (1947-2015, Bruxelles) fut un photographe qui s’est penché sur la condition animale et humaine avec un humour assez acerbe.
Intéressé par les animaux, il publia à leur propos « Zoologies », « Chiens », « Doux-Amer », « Le chien nu » dans un esprit qu’on a qualifié de fabuliste. Reporter, il capta « La Suisse autrement » ; curieux des hommes, il arpenta la frontière franco-belge « Sur la ligne » ; attentif au labeur de ses concitoyens, il égrena « Les travaux et les jours » ; interpellé par les étrangers en situation précaire à Bruxelles, il capta leur destin incertain dans « Chroniques immigrées ».
Les photos sélectionnées à Dunkerque laissent une impression particulière. Elles donnent la sensation que leur auteur les a choisies pour l’humour plutôt caustique et parfois cruel qu’elles laissent entrevoir. Parmi la faune qu’il a explorée, il se produit un inévitable rapprochement avec des attitudes humaines comme dans les paraboles, à ceci près qu’il n’y a pas de morale puisqu’elle est laissée à l’appréciation de celui qui regarde. Et lorsque Vanden Eeckhoudt saisit la souffrance animale de ceux qui passent leur existence en captivité dans des zoos, une autre dimension surgit de l’ordre de l’émotion plus que de la réflexion.
Chaque cliché semble porté par une construction recherchée. On décèle des éléments mis en échos visuels. Selon, ce sera un parallélisme de situations, des similitudes de décor, des rappels formels. Ainsi cet homme en train de déneiger un trottoir à proximité d’une affiche où un autre bonhomme saute afin d’éviter un obstacle. Ailleurs, une statue funambule se dresse à portée de câbles électriques tendus sur le ciel. Un visiteur a l’air de vouloir mettre, entre les barreaux d’une cage, sa tête dans la gueule d’un lion tandis qu’à l’avant, un visage en gros plan se détourne avec angoisse. Telle vieille personne arbore des cheveux hirsutes semblables aux poils de son cabot. Tel modèle pose nue face à une toile peinte…
L’insolite a sa place parmi ces photos. Voici un félin dont l’intérieur paraît transparent à cause d’un reflet sur une vitre, comme s’il était radiographié par le paysage. Voici le chien qui fume sans rapport avec une enseigne de restaurant ou de théâtre ; ensuite le Sicilien qui fait mine de porter une église sur ses épaules de fidèle, sorte de St Christophe de l’architecture. Puis une silhouette noire qui s’éloigne d’un tunnel sur les murs duquel un tag blanc rappelle une présence humaine en négatif sur sombre paroi.
À les observer durant un certain temps, on se prend à tisser, entre les éléments que les photos manifestent, des liens en rapport avec la forme mais aussi avec le sens. Les images s’imposent comme reproductions du réel mais ne cachent pas combien le point de vue du photographe en modifie la perception. Il se passe une sorte de connivence qui contraint les regardeurs que nous sommes à adopter une opinion différente de celle que nous aurions eue si nous avions été présents sur place au moment de la prise de vue.
Vanden Eeckhoudt est un révélateur, ce qui est évidemment le comble pour un opérateur. D’où la métamorphose de ce primate qu’est le ouakari en un grotesque ou un personnage de carnaval. D’où ce côte à côte de chiots indiens soudain devenus siamois. Car la précarité des existences se laisse percevoir, figée à jamais à la seconde du déclenchement de l’obturateur. L’art de la pellicule consiste précisément à arrêter le temps, à immortaliser dit-on dans les poncifs des commentateurs. C’est une mise en observation définitive : le vivant pétrifié se prête à toutes les analyses.
Qu’il soit question de créatures animales saisies dans le décor artificiel d’un jardin zoologique ou des gens insérés dans leur environnement, le point de vue semble similaire : combien il est difficile d’être en harmonie, en sérénité avec la vie telle quelle est proposée.
Michel Voiturier
Au FRAC, 503 Avenue des Bacs de Flandres à Dunkerque jusqu’au 30 avril2017. Infos : 00 33 (0)328 65 84 20 ou www.fracnpdc.fr
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