Un éclectique éditeur d’images : Franck Bordas

Franck Bordas travaille depuis plus de trente ans avec des artistes très divers. Les œuvres qui en résultent brassent de larges pans de l’histoire de l’art du XXe siècle et d’aujourd’hui avec des techniques et des supports ayant, eux aussi, suivi les évolutions.

Ce qui frappe dès l’entrée de l’exposition, c’est la diversité et des créateurs et des moyens de production des œuvres. Cela va de Dubuffet à James Brown ou Ianna Andreadis. Cela passe par les techniques traditionnelles de la gravure jusqu’aux plus actuelles, de la litho (dont une photo de Philippe Gronon restitue le velouté mystérieux de cette pierre à images) pour Matta jusqu’à l’impression numérique pour Di Suvero. « Aujourd’hui, dit Franck Bordas, les fichiers images, c’est-à-dire les données qui permettent d’afficher une image, sont comme des partitions à interpréter. Elles permettent aux artistes de les retoucher et de les modifier pour les faire évoluer sans cesse ».

Ce cheminement entre 1978 et aujourd’hui, l’éditeur le raconte dans le livre «Un parcours imprimé ». Il est fait de rencontres, de collaborations, d’amitiés mais aussi de déménagements successifs, d’acquisitions de matériels divers, de sauvetage ou de restauration de presses anciennes. Avec, dès 93, la venue d’un premier ordinateur Apple doté de son programme de dessin noir et blanc. Quant aux styles, ils parcourent les métamorphoses de l’art du XXe siècle et s’étalent à travers livres d’artistes ou reproductions à tirages limités.

Philippe Boisrond est réaliste et présente le métier d’imprimeur en traits simples en une scène presque anecdotique. France de Ranchin transmutant un thème aussi classique que le nu à travers une composition labyrinthique induit une façon inattendue de le regarder. Et Tàpies profite d’une cloche pour la synthétiser en un graphisme nerveux tandis que Rik Vander Eecken éclabousse le quotidien avec une ironie farouche.

La photo, pour Valérie Belin, devient évocation fantomatique d’un personnage extrait du temps dans des délicatesses d’eau-forte. Le dessin pour Pignon-Ernest est l’occasion d’une délicate et sensuelle évocation de l’extase. Ce sont des silhouettes humaines qu’importe Jean-Charles Blais sur caoutchouc ; l’être s’y confondant chromatiquement avec ce qui l’habille.

En noir et blanc, Philippe Baudelocque étale sur toile un réseau de lignes et de formes brassé selon un mouvement cosmique, mouvement que Naija Mehadji reprend en « danse mystique ». En couleurs, Tim Maguire laisse exploser des formes stellaires. À l’inverse, Georges Rousse investit des lieux précis pour souligner leur architecture au moyen d’une intervention graphique.

Alechinsky y va de ses séquences juxtaposées, de son graphisme torturé. De Combas et de combat, voici une Jeanne d’Arc aux limites du caricatural rehaussé d’un ironique sépia de jadis. Di Rosa s’éclate grâce à une parodie délirante de parc d’attractions dont la parenté avec la causticité des bandes dessinées de Robert Crumb est patente. De son côté, Haring se défoule à travers une imagerie réunissant de manière humoristique des éléments du pouvoir régalien.

Andréadis étale ses géométries polychromes mexicaines ou ses envols quasi calligraphiques. De lignes décantées, Nicola de Maria fait surgir la présence d’une nature presque abstraite. Mark di Suvero lance de hardies obliques à l’instar de certaines de ses sculptures. Buraglio s’empare de banales enveloppes postales pour les décliner en rythme répétitif qui les éloigne de leur aspect et usage originaires. Des motifs étagés plus ou moins récurrents permettent à Mabille d’habiller l’espace de teintes radieuses. Paul Cox réjouit l’œil avec les couleurs de sa carte du tendre rénovée, géographie embellie qui satisfait aussi l’esprit en quête de mots.

La qualité et la diversité de cette expo sont la preuve éclatante qu’un musée spécialisé permet à des démarches spécifiques de se montrer, alors qu’elles n’auraient guère eu aisément leur place dans une institution plus généraliste. Elles sont la démonstration qu’une spécialisation est susceptible d’être une ouverture et non un repli sur une unique thématique ou sur une technique restreinte.

Michel Voiturier

 

« De la pierre à l’écran » au Centre de la Gravure, rue des Amours à la Louvière jusqu’au 11 janvier 2015. Infos : +32 (0) 64 27 87 27 ou http://www.centredelagravure.be

À lire : Catherine de Braekeleer, Franck Bordas, « Un parcours imprimé », La Louvière, Centre de la Gravure et de l’Image imprimée, 2014, 144 p.

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