Solidement ancrées au sol, la majorité des sculptures de Curie se veulent pesantes. Elles disent une présence maternelle envahissante, protectrice et féconde. En contraste d’autres évoquent l’envol, le départ, le désir d’ailleurs.
Les sculptures de Parvine Curie (1936, Nancy) se présentent de prime abord dans leur massivité. Elles possèdent quelque chose d’éminemment lié à la terre, au sol, à la pesanteur. Elles appartiennent manifestement à la vie terrestre, celle qui ancre les individus dans un quotidien lourd à assumer. Elles manifestent, en réaction à cet état, un désir récurrent d’envol, de départ, de mobilité. Elles se trouvent donc souvent entre le repli rassurant de la communauté et le débordement individuel vers un ailleurs ouvert sur des découvertes à rencontrer.
Parmi les thèmes développés par cette franco-iranienne, s’impose celui de la Mère. C’est-à-dire le personnage qui se situe au centre de la famille, qui lui fournit de nouveaux membres chaque fois qu’elle accouche, qui rassemble les siens autour d’elle, qui se révèle rempart contre les intrusions. Cela tient de la forteresse protectrice et de la claustration neutralisante à travers les formes noires massives qui constituent une constante à travers tout son œuvre.
Pas vraiment question ici de démarche figurative. Pas davantage d’abstraction pure. Plutôt d’ensembles qui s’articulent en éléments différents issus d’une forme matrice. On ne s’étonnera dès lors pas que l’artiste ait été fascinée, lors de ses voyages, par les pyramides égyptiennes et mayas, des temples de l’Inde, des monuments Cambodgiens, les habitats sahariens enfouis dans le sable, certains monastères espagnols, les « pans démultipliés » du Guggenheim de Bilbao…, sans passer sous silence des récits, parmi lesquels celui de la tour de Babel. À partir de cette liste, on comprend que s’explique le fait que la production de Parvine Curie est considérée intimement liée à la spiritualité.
Si l’espace est emparé, il n’est cependant jamais tout à fait clos. Des ouvertures sont visibles, parfois peu apparentes. Mais la traversée n’est pas impensable. Comme le souligne Lydia Harambourg, « Volumes et lignes cernent des vides qui exaltent les pleins et tissent des rapports mystérieux ». Ce n’est pas sans raison qu’un des autres thèmes est celui de la porte.
Précisément celle qui empêche de voir ce qui se passe derrière, qui contrecarre l’intrusion directe ou la fuite et, néanmoins, qui est susceptible de s’ouvrir pour dévoiler une autre superficie avec son contenu, qui invite à sortir et aller vers cette autre forme d’étrangeté que constitue le dehors. Ces portes ont été sculptées pour être celles de musées, de monastères. Quant aux autres, ce sont des portiques ; autrement dit des architectures qui laissent passer pour pénétrer dans des lieux singuliers soit religieux, soit solennels.
Du sol vers l’azur
Un des objectifs de l’art, selon Parvine Curie, est « transcender la banalité de la vie ». On comprend par conséquent que l’autre de ses thèmes récurrents soit l’envol. Ce que les matières et les formes utilisées pour ses créations paraissent avoir de massif et d’oppressant trouve son contraire à travers la série des tentatives icariennes d’aller vers le haut, de jouir de l’amplitude de l’univers. Des animaux volants, des personnages ailés tels les anges, voire des missiles parsèment la production de l’artiste.
Cette part-là contient davantage d’éléments figuratifs tout en évitant le réalisme. Les verticales deviennent alors des obliques. L’équilibre des statues est souvent à la limite d’une probable chute. Elles ont besoin d’une énergie qui les empêcherait de s’écraser au sol, de retourner en quelque sorte d’où elles viennent. Puisque nous sommes devant l’immobilité d’une sculpture, il faut imaginer ce qui se produirait une fois le décollage amorcé ou le bond en avant entamé.
En fait, le mouvement est esquissé par l’agencement des formes. Les vides entre les parties de l’œuvre sont plus nombreux. On aura même quelquefois l’impression qu’elles vont battre l’air, que le vent va s’engouffrer, qu’elles vont soudain se hisser en apesanteur à hauteur des yeux qui les regardent, qu’elles sont capables de ressembler à ces drones si présents aujourd’hui dans le ciel.
Restant dans le domaine des trois dimensions, l’expo se complète par des thangkas, c’est-à-dire des tissus roulés sur lesquels se trouvent des motifs, des dessins. Cet emprunt à la culture bouddhiste tibétaine permet à la créatrice de jouer avec des textiles transparents superposés. S’y retrouvent des figures déjà combinées dans les sculptures et qui ajoutent à la cohérence d’une rétrospective montrant un parcours aux recherches consacrées à un approfondissement d’un seul et même langage plastique.
Michel Voiturier
« Sculptures & Thangkas » est visible au musée Camprédon, 20 rue du Docteur Tallet à L’Isle sur-la-Sorgue jusqu’au 8 octobre 2017. Infos : 04.90.38.17.41 ou https://www.campredoncentredart.com/
Catalogue : Rinuy, Reliquet, Huyghe, Mécif, Puisais, Mathieu, Kremski, « Sculptures & Thangkas », Angers/L’Isle-sur-la_Sorgue, Maison de l’Europe/Centre d’Art Camprédon, 2017, 144 p.
Poster un Commentaire