A De Garage à Malines, Emilio Lopez-Menchero présente “De Mol à Molenbeek”
Pour Emilio López-Menchero, être artiste – une question d’identité – a toujours consisté à se mesurer tant aux normes historiques et sociales qu’à lui-même. Depuis le début des années 2000, à côté de ses interventions dans l’espace public, il a cherché régulièrement à incarner des personnages célèbres. Cette série, nommée ‘Trying to be’ consiste à faire le remake d’une photographie célèbre d’une personnalité. Ainsi, dûment grimé, il figure tantôt des artistes – Picasso, Frida Kahlo, André Cadere ou James Ensor -, tantôt des personnages souvent mythiques et controversés – Raspoutine, Arafat, Che Guevara ou Carlos. Mais le jeu peut aussi se compliquer quand il se met en scène en Rrose Sélavy – où Duchamp se transforme déjà -, ou en Escobar, le narcotrafiquant, lui-même déguisé en Pancho Villa.Tous les artefacts (maquillage, travestissement) sont présents, mais ils ne sont qu’un moyen que l’artiste utilise pour donner son corps au mythe et, le temps de la fabrication de l’image, se confondre avec lui. Les personnages de peintres sont nombreux dans la série et c’est en réalisant Trying to be Ensor en 2010 qu’Emilio Lopez-Menchero a découvert que le temps était venu de dévoiler sa peinture et de s’y consacrer pleinement. L’exposition De Mol à Molenbeek permet d’appréhender une peinture multiforme que l’on pourrait résumer, en paraphrasant la série de l’artiste, non pas Trying to be painting – Emilio Lopez-Menchero s’y révèle un véritable peintre – mais Trying to be the painting.
Le titre de l’exposition renvoie à la biographie de l’artiste : il est né en 1960 à Mol, une ville de Campine où son père travaillait pour le centre d’études nucléaire et son atelier est aujourd’hui situé à Molenbeek. Enfant, il découvre la peinture – on trouve d’ailleurs dans l’exposition deux gouaches datées de 1966, l’artiste a alors six ans – et leur remake cinquante ans plus tard, en grand format et à l’huile, réalisées dans l’atelier de Molenbeek. Ce sont les deux pôles qui structurent l’exposition. L’enfance à Mol est très présente avec une série de grands tableaux s’attachant à des images-souvenir du quotidien – le petit salon, les chats dans l’escalier, l’enfant suspendu par les bretelles de sa salopette à une branche d’arbre, etc.- et d’autres plus petits qui réfèrent au monde – le premier pas de l’homme sur la lune ou le mémorable combat entre Frazier et Muhammed Ali. Un autre tableau représente la maison de l’enfance “à vendre”. Les peintures qui témoignent d’aujourd’hui y répondent : des voyages – New York, la Palestine – et l’actualité -Trump, Alep. La peinture de López-Menchero n’est pas seulement autobiographique et évocative, elle a également un versant imaginaire. Cet aspect peut être sombre comme on le voit dans les tableaux qui associent une grille de petits signes répétés de manière régulière figurant de grands immeubles impersonnels(1) et une branche d’arbre mort. Plus inquiétante est la série des Cabezudo, mi têtes, mi masques, qui deviennent presque des portraits, tant leurs yeux extrêmement réalistes et brillants semblent suivre les mouvements du spectateur.
Scènes de genre, portraits, paysages, flux imaginaires, les sujets sont variés, les styles et les techniques utilisées le sont tout autant. On trouve des toiles brutes sur lesquelles les couleurs s’inscrivent de manière très déliée à la manière des esquisses ou des travaux préparatoires. D’autres tableaux jouent avec la matière et sont chargés de pâte. D’autres encore travaillent avec la transparence de jus délicats. La recherche de la plus grande ressemblance côtoie presque l’abstraction. On sent le grand plaisir que l’artiste prend à peindre et toute sa détermination, mais on sent aussi l’importance qu’il accorde au sujet et son désir de partager ces bribes de vie, ses réactions au monde qui nous entoure et ses fantasmes. Toutes ces peintures interrogent le geste de peindre aujourd’hui, hors des querelles qui ont émaillé l’histoire de la peinture. C’est sans doute en elle qu’Emilio López-Menchero parvient à réunir son identité et le monde. De la même manière qu’il cherchait à “être” un personnage mythique, ici il cherche à devenir la peinture elle-même.
Colette Dubois
(1) Architecte de formation, López-Menchero a toujours été fasciné par les théories d’Ernst Neufert et particulièrement par les éléments normés qui parsèment ses croquis et ses plans.
“Van Mol tot Molenbeek” d’Emilio López-Menchero, jusqu’au 2 septembre à De Garage, Onder-Den-Toren, 12 à 2800 Mechelen. Ouvert du jeudi au dimanche de 13 à 18h.
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