On connaît le Daily Bul, né à La Louvière sous l’égide d’André Balthazar et de Pol Bury, comme un grand réservoir de mots assaisonnés de dessins, de gravures. La photo, bien que parente pauvre, y a aussi trouvé une place et pas des moindres.
Georges Vercheval constate qu’au Daily Bul « où il arrive que l’écrit contamine l’œuvre plastique, la photographie peine à conserver une relation sérieuse avec le témoignage, avec l’ici et maintenant ». Son rôle n’est plus documentaire. Elle est image qui suscite des commentaires, qui est devenue « objet graphique non identifié qui pourra s’octroyer le droit de gratifier de formes nouvelles la réalité du monde ».
Côté commentaire, l’exemple par excellence, ce sont les remarques qui accompagnent les clichés de Charles Henneghien dans son album Le musée objectif ou les voyeurs vus. Les annotations d’Erik Dietman valent leur pesant d’ironie. On peut se demander celle que susciteraient les flous faussement chastes ou véritablement fantasmatiques de Jean-Louis Godefroid.
La réalité brute se trouve dans les fameuses fenêtres de Georges Vercheval. Encore que la présence que suscite le noir et blanc les adoube comme supports à imaginer ce qui se dissimule derrière les façades. Titus-Carmel présente une ouverture vitrée sous un angle qui la rend davantage vertige que déclencheur de chimère. Les vues urbaines sélectionnées par Philippe Gielen explore un monde froid, voué comme chez Jacques Evrard, au commerce financier bien plus qu’à la sociabilité des hommes.
Côté réalité transformée, les ’ramollissements’ de Bury qui rendent êtres et choses aussi flasques que possible. Côté détournement du réel, cet autoportrait de Ben : une tête vue de dos accompagnée de la très magritienne mention manuscrite « ce n’est pas moi ».
Mélange d’artifice et de réel selon Francis Tondeur : un dessin gestuel devient décor d’une anatomie érotique. Chez Jacques Richez, les corps nus sur ou devant un bloc de marbre rappellent que la pierre traduit la chair, à ceci près que l’anatomie, décapitée, ramène une fois encore au langage iconique de Magritte. Quant aux fameux chimigrammes de Pierre Cordier, ils concrétisent ce que l’imaginaire échafaude.
Les tags saisis par Jacques Meuris marquent un retour partiel aux mots. Les travaux de Roger Knockaerts aussi, même si des chiffres y sont adjoints pour de fantasques allusions aux escargots, emblématique symbole du Daily Bul. Les éléments mis en boite par Ehrlich (probablement Topor) tiennent du conceptuel et donnent place primordiale aux vocables, agrémentés de quelques parcelles graphiques. Et c’est le mot encore qui permet (ô miracle !) de connaître l’eau de Lourdes…
Les personnages dont Serge Vandercam expose le portrait, ils abandonnent leur condition d’êtres folkloriques pour une présence quasi charnelle. Enfin, il était logique de visualiser également les piliers du Daily Bul. Voici donc des effigies dues à Bury du poète Achille Chavée conservant derrière son visage énigmatique le mystère d’un de ses poèmes. Voici par Éric Masquelier, André Balthazar accompagné dans ses attitudes successives et prolixes lors d’un récit quelconque particulièrement animé.
Le même Balthazar a écrit : « L’image recrée le monde, réinvente ses profils, gonfle et rétrécit l’espace. » Sans doute la photo est capable de donner des « Images vraies d’un monde inexistant » autant que des images leurres d’un monde qui nous entoure.
Michel Voiturier
Au Centre Daily Bul & Cie, 14 rue de la Loi à La Louvière jusqu’au 22 janvier. Infos : 0032 (0)64 22 46 99 ou http://www.dailybulandco.be/
Catalogue : Georges Vercheval, Yves De Bruyn, Aurélie Willems, « La photographie au Daily Bul, affinités et chamailleries », Crisnée/La Louvière, Yellow Now/Daily Bul, 112 p.
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