« Sérotonine » de Sofie Vangor: extension du domaine de l’ego. 

Du 22.11.2024 au 11.01.2025 – Galerie Flux – Rue Paradis 60, 4000 Liège, Belgique.

La galerie Flux, en ces temps de brume sociétale, prolonge jusqu’au 10 janvier une énigme plastique: Sérotonine de Sofie Vangor. Une œuvre à la croisée des gouffres, où l’ego s’étend, à l’image de l’univers en expansion, jusqu’à atteindre une certaine métaphysique des corps.

Quand on connaît un peu personnellement Sofie Vangor, il paraît tout à fait évident qu’elle demeure, de prime abord, une des artistes les plus éloignées de l’écrivain français Michel Houellebecq. 

N’officiant pas dans la même sphère artistique et se situant, l’un et l’autre, à des antipodes physiques, politiques, psychologiques et thématiques, rien ne pourrait laisser penser à un quelconque rapprochement entre ces deux créateurs que tout sépare en apparences.

Et pourtant…

Au sein de cette remarquable exposition « transdisciplinaire » il est facile de déceler les accointances évidentes et les références directes (conscientes ou inconscientes) faites à l’univers littéraire de cet auteur à succès. Références présentes jusqu’au titre de l’exposition, homonyme d’un des derniers livres de l’écrivain.

Ainsi, dans ce dialogue étrange (car fortuit) entre l’auteur et l’artiste, un souffle commun émerge : celui d’une humanité laminée, en pleine mutation, nue dans sa dérive et lutant contre son propre naufrage.

Dépendante d’une cure psychanalytique extrêmement profonde mais surtout extrêmement féconde, l’œuvre de Sofie Vangor suit une rigoureuse logique sous des dehors cryptés. Une logique suffisamment complexe qui parvient, à l’image de certaines équations, à mettre subtilement en relation une soif démesurée d’absolu avec un caractère autobiographique parfaitement décomplexé. Une corrélation également présente, si l’on regarde bien, dans le projet littéraire de Michel Houllebecq qui prétend, tel un naturaliste moderne, comprendre ses contemporains mais en passant, lui-aussi, par le prisme de ses démons personnels.

Chez Sofie Vangor, c’est une esthétique du « dégât » contrôlé qui s’offre à nous— si l’on peut oser le terme — et qui suscite chez le spectateur des sensations troubles, une fascination maladive qui le pousse à scruter le moindre détail des formats variables et des techniques déclinées jusqu’à l’obsession. Transparaît ainsi chez l’artiste une volonté de maîtrise absolue servant d’outil à la défragmentation inconsciente du message et à la déstructuration volontaire de la représentation. Dès lors, d’immenses lignes de la main se tissent devant nous et il suffit au spectateur de les suivre.

Tout sauf cryptique, donc, mais au contraire outrageusement transparente, Vangor ne s’interdit rien dans sa version de « Sérotonine », et certainement pas une mise en avant plastique de la chair en action. La sexualité étant, à l’image de l’écrivain sulfureux, un ingrédient essentiel de son identité artistique, Sofie sait comment jouer sémiologiquement avec cette donnée. Car consciente que le sexe demeure (avec la violence) le signal le plus puissant pour capter l’attention de l’être humain, elle ne nous épargne rien en la matière afin d’interpeller et, quelque part, de choquer avec l’évidence des corps qui se mélangent. 

Ainsi s’offrent à nous des nus, des parties génitales, de l’échangisme, des actes sexuels crus, rendus à la banalité de leurs conditions par la démultiplication des situations et des partenaires. La sexualité est ici figurée comme un rituel. Un rite de la vie organique qui est présenté en un déchaînement curieusement calme (ce doit être le trait et le coup de pinceau) par cette Shamane des Marolles pronant un esotérisme sexuel qui apparaît, en suface, comme salvateur. 

On devine bien sûr, les fêlures masquées derrière la magie de ces rituels. On a l’impression de jouer à cache-cache derrière des totems plantés dans la galerie. Et c’est avec ce gigantesque corps mort, en feutrine découpée, lui aussi masqué et fixé au mur du premier étage, que le cheminement magique des ébats se stoppe.

La feutrine moribonde gît comme un vestige de rite funéraire. L’âme semble s’en être détachée, laissant derrière elle une enveloppe sèche, comme un ultime apaisement après une existence de tumultes et de souffrances chroniques, catégorisant cette mort comme la fin inexorable de la danse de la Vie.

Proche de la transe et visible dans les œuvres au rez-de-chaussée, cette danse manifestement transhumaine, interraciale, intergenre et interespèce, intègre aussi des hommes et des femmes nus, cadrés en plongée sur un carrelage, reliés par des câbles à des machines improbables. Une scène forte qui instaure, sans détour, un simulacre de vie devenu étranger à toute humanité par l’Avènement de la Technique.

Par la même, les orgies de femmes et d’hommes-palmiers, rendues possibles par cette transe, résonnent finalement comme des paroles cacophoniques transcrites en images. C’est alors que cette grande conversation sera rendue consultable sous de multiples déclinaisons poétiques dans le fameux « Paradigme du T », un recueil de sensations plastiques basé sur la symbolique des palmiers qu’arborent ces humanoïdes-plantes. 

Après observation, un lecteur renseigné peut aisément croire que ces êtres hybrides sont certainement dotés des mêmes capacités de photosynthèses que les clones de « La Possibilité d’une Ile ». Ces fameux néo-humains végétaux représentés dans le livre par le personnage de Daniel 25 et également reliés entre eux par un internet franchement amélioré.

En définitive, Sofie Vangor creuse bien le sillon de la désillusion, du combat contre l’individualisme et des fractures évolutionnistes contemporaines, mêlant souvent comme Houllebecq un cynisme involontaire et une forme de lyrisme désabusé.

Tels d’authentiques repentis (l’une de l’expressionnisme et l’autre du naturalisme), tous deux ne nous épargnent pas, et c’est là toute leur grandeur. Car l’art qui nous épargne est un art qui nous trahit. 

Celui de Vangor, lui, est semblable à un miroir cru, implacable, dans lequel l’artiste se contemple elle-même sans détourner le regard avant de nous le tendre.

Au fond, avec Sérotonine, Sofie Vangor nous offre une catharsis radicale, un art-thérapie sans concession, qui transcende l’individu pour atteindre une forme d’ethnologie du délitement. Le spectateur en sortira certainement secoué, probablement vidé, mais aussi et surtout, c’est l’essentiel, étrangement vivant… comme modifié par un tumulte. Celui d’un ego qui se dissout progressivement dans les têtes afin de faire Monde.

Jean-Marc Reichart 

La galerie Flux est fermée durant les fêtes, l’exposition est visible sur rendez vous du 6 au 11 janvier 2025, contact: 0496/721339

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