Xavier Mary (Liège, 1982) a été fasciné par notre civilisation industrielle et le culte qu’elle a voué à l’automobile. Il l’a aussi été, plus récemment, en découvrant les ruines de la civilisation khmère en Thaïlande et au Cambodge. De son côté, Sanam Khatibi (Téhéran, 1979) laisse une vision apparentée à l’art naïf, bien loin du XXIe siècle, inspirée davantage par l’art d’autrefois.
De la conjonction de ces deux envoûtements est née cette expo. Elle confronte les vestiges de ce qui est encore et ceux de ce qui n’est plus chez l’un. Elle se nourrit des productions de jadis chez l’autre. Avec comme implicite le fait, ainsi que nous l’a appris Valéry, qu’une civilisation même en ayant marqué le monde de son estampille, ne sera jamais éternelle. Elle laissera ses traces, sur lesquelles il nous sera possible d’établir un bilan.
Xavier Mary, vandale raffiné
L’industrialisation, fée des bienfaits du progrès et ogresse de son humanité, ne cesse aujourd’hui de poser des questions à ceux, de plus en plus nombreux, qui constatent avec scepticisme les dégâts causés à un environnement où la nature s’avère impuissante et donc incapable de poursuivre son rôle régénérateur. C’est alors que s’amalgament admiration et effroi. Une fusion émotionnelle qui s’empare des visiteurs comme des citoyens responsables en face de ce que l’artiste définit en tant que « vestiges du rêve de la modernité ».
La partie baptisée MX TEMPLE subjugue. Elle se présente de prime abord telle que sont les ruines asiatiques. Des pneus gigantesques – ceux qui équipent des engins de chantiers ou d’exploitations minérales pharaoniques. Leur entassement en empilage se confond avec les tours templières des ruines vouées aux archéologues et aux touristes, immanquables remplaçants des fidèles et des croyants. Des colonnes sont comme pourvues d’offrandes sous l’aspect de bouquet de néons.
Réduits à l’évocation, ces masses portent les stigmates de leur utilité via l’usure visible, la dégradation perceptible. Le gigantisme auquel elles appartiennent nous place en position d’ouailles dociles autant que d’impies ayant déchanté de leurs idoles. C’est d’autant plus déstabilisant que la forme sculpturale des pneus est géométriquement parfaite.
C’est le cas des panneaux anti-bruit disposés bruts en leur forme initiale mais traités selon des procédés différents (effet chrome, miroir, coloration sombre ou noire, polissage…). L’ensemble s’apparente à une composition rigoureuse et minimaliste. La fonction initiale de ses éléments devient, non plus protection contre les nuisances sonores pour habitants situés le long d’autoroutes mais bien paysage lui-même que tout conducteur voit défiler tandis qu’il roule.
Tout ceci institué en tant que décoration pour agrémenter le lieu de culte. De même que TNL, composition hexagonale combinée avec les néons utilisés pour l’éclairage des tunnels routiers. Simultanément sorte de rappel de l’adoration dont on faisait preuve autrefois envers le dieu Soleil et réminiscence des matériaux familiers aux usagers de la route. Avec une volonté de donner à cette pièce une espèce de valeur oxymorique puisque le centre de cet astre artificiel est un centre obscurément noir.
Et s’il n’y a guère d’endroit de pratique religieuse sans autel, en voici un. Il est constitué d’un assemblage de phares de camions dont l’allumage est programmé afin de constituer des séquences variées. À défaut de la petite veilleuse allumée qui, dans les églises catholiques traditionnelles, annonce la présence divine sous forme d’hosties consacrées, cette sculpture indique celle de la circulation nocturne, voire l’illumination des endroits éphémères où se rassemblent les participants à des ‘raves’ ou des ‘free-parties’.
En seconde partie de cette expo, un film, MX TEMPLE d’une dizaine de minutes. Il exprime à sa façon la vision esthétique de monde selon Xavier Mary. Il a pour sujet principal une sculpture conçue avec les deux initiales de l’identité de l’artiste X M, initiales qu’il a déjà utilisées en détournant un logo d’industrie automobile.
Dans une atmosphère particulière alliée à des luminosités crépusculaires de matinée et de soirée ainsi qu’à la végétation pléthorique du Cambodge, les images racontent le façonnage de la sculpture par des artisans indigènes, son transport sur radeau comme autrefois, son abandon final au milieu de la jungle. La bande son créée par Emptyset jouant un rôle capital en vue de susciter un envoûtement et une atmosphère de mystère.
Il apparaît dès l’abord, qu’il s’agit d’un exemple vivant de l’ego d’un créateur contemporain désireux de voir son nom célèbre et célébré, fabricant de sa propre gloire, aspirant à une vénération similaire à celle dont bénéficiaient les divinités. Mais la fin de la vidéo nous ramène à la réflexion du début de cet article : l’éjection finale de l’œuvre en terre inconnue, son rejet par son créateur qui ne peut rester vivre auprès d’elle sous peine de figer sa création fait que la dégradation, la déprédation l’amèneront à l’état de ruine anonyme. À la négation même de son existence et de sa fonction.
Sanam Khatibi, héritière intemporelle
Le rejet des normes occidentales empêche de classer Sanam Khatibi, autodidacte installée à Bruxelles. Elle affectionne les arts de l’antiquité et de civilisations défuntes, ceux de la Renaissance et les pratiques actuelles qui s’y rattachent. Comme les titres de ses œuvres, celles-ci sont instinctives et recèlent quelques réminiscences de l’art jadis baptisé naïf.
Il est logique que ses œuvres contiennent des éléments mythiques. Pêle-mêle cohabitent des allusions à un matriarcat primitif, des violences ancestrales (mais le présent en est envahi), des pulsions animales. Les décors ont souvent des allusions d’éden ou d’eldorado, palliatifs inhérents au présent imparfait des civilisations ayant existé.
Il y a du pastiche sous le pinceau. Ainsi Now that the evening is no longer silent rappelle-il des scènes où le héros terrasse un dragon, à ceci près qu’il s’agit d’une femme s’apprêtant à perforer de sa lance une autre femme, toutes deux aussi nues que les dames peintes par Paul Delvaux. Il est patent que la sensualité et par conséquent la volupté s’inscrivent partout ; de même que la violence liée au pouvoir.
Une installation telle que La Disparition de Cécile est emblématique. Elle rassemble de la vaisselle utilisable, des amulettes, des fragments archéologiques, une représentation phallique qui mêle des objets de collection personnelle et d’autres créés par l’artiste, un peu à l’instar du contenu de ses natures mortes vanités miniatures.
Michel Voiturier
Au BPS22, boulevard Solvay 22 à Charleroi jusqu’au 1 septembre 2019. Infos : +32 71 27 29 71 ou www.bps22.
Vidéo : https://youtu.be/CVDXpbjvkw8
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