Accompagné de Dali, dont il fut le premier conservateur de son musée de Figueras, Antoni Pitxot renoue avec le paysage anthropomorphe.
L’expo consacrée au peintre espagnol Antoni Pitxot (1934-2015) est d’abord un écrin destiné à valoriser un artiste méconnu. Il est en effet inséré dans une scénographie étonnante due à Rachid Jall et à ses étudiants de St-Luc Tournai ; il est entouré par quelques œuvres surréalistes qui méritent d’être vues. D’un côté, deux Dali et de l’autre deux Chirico ainsi que plusieurs toiles issues de la collection permanente du musée tournaisien ou prêtées en guise de jalons d’histoire de l’art, une façon didactique de montrer quelques prédécesseurs du surréalisme.
Le surréalisme de Dali et de Chirico
Dali est dans le vent. Une expo a perduré à Liège. Il dispose d’un espace permanent à Beaune ainsi qu’à Montmartre agrémentés d’expos temporaires ; un autre s’est ouvert à Berlin et à Bruges. À Figueras, ce sont des œuvres stéréoscopiques qui resteront quelque temps.
Les deux peintures de l’inventeur de la méthode « paranoïaque-critique » présentées à Tournai sont baignées d’une luminosité étrange qui rassemble l’air, le minéral et l’aquatique en une cohabitation visuelle où des formes insolites avoisinent des éléments d’une géométrie en paradoxe avec le jeu onirique des compositions. Même délimités, les symboles élémentaires du monde usités depuis l’antiquité se retrouvent au sein d’une lumière crépusculaire mise en valeur autour d’évocations plutôt sobres, contrairement au foisonnement coutumier du peintre à l’imagination baroque. Il y a là une incitation à la méditation, à une rêverie pimentée de fantastique.
Le reste des pièces qui sont en rapport direct avec celui que Breton avait surnommé « Avida Dollars » en jouant sur l’anagramme de son patronyme, sont le plus souvent d’un intérêt anecdotique (photos, livres, dessins, reproductions…). Chez Chirico, c’est un mystère qui sous-tend ses assemblages insolites de sujets identifiables mais réalistes jusqu’à un certain point seulement, du coup devenus intemporels dans des lieux qui ressemblent à des décors de théâtre. La géométrie est une composante essentielle dans ses toiles au dessin strict car tout semble généré par une rigueur formelle. La lumière est diffuse, comme un éclairage à la bougie. On s’attend à ce que quelque chose de vivant surgisse qu’on doit seulement imaginer.
Le paysage anthropomorphe chez Pitxot
Les XVIe et XVIIe siècles ont été prodigues en paysages corporels ou en corps paysagers avec des prolongements jusqu’à aujourd’hui ainsi que le montra une remarquable exposition au Palais des Beaux-Arts de Lille en 2006 . Henri met de Bles, Matthäus Merian, Joos de Momper… ont peint des panoramas qui s’associent à la forme de l’anatomie humaine. Ils entretiennent une confusion visuelle qui est en réalité une fusion : l’être humain, à l’instar de la nature, subit les transformations du temps. En 1935, Dali avait peint une « Tête paranoïaque » du même genre. Cinq ans plus tard, un assemblage de personnages du « Marché d’esclaves » devant une ouverture murale se métamorphose en buste de Voltaire.
En quelque sorte convoqué dans cette exposition puisque associé à la démarche de Pitxot, Guiseppe Arcimboldo (1527-1593) élabore des portraits où chaque détail anatomique est une fleur, un légume, un fruit, un objet familier. C’est alors davantage symbolique comme si l’humain s’était construit en fonction de ce qui le nourrit matériellement ou intellectuellement.
Antonio Pitxot, lui, place ses sujets en situation et les peint en assemblant des fragments minéraux sortis de la nature. Il en vient à minéraliser l’homme. Comme l’écrit Jean-Pierre De Rycke, « les figures allégoriques du peintre catalan se dissimulent au sein du puzzle minéral qui les contient et échappent partiellement au premier regard » car son art est « un art du camouflage ». Il semble influencé par des paysages locaux rocailleux comme celui du Cap de Creus ou de la baie de Port Lligat.
Manifestement, le peintre dispose d’une grande maîtrise technique. Il traite la matière rocailleuse avec de nombreuses nuances. Cela tient d’un réalisme pictural académique proche du trompe-l’œil, ce que Dali pratiquait lui-même volontiers. La lumière joue avec virtuosité sur les pierres, fait ressortir leurs reliefs, se colore selon les composants chimiques des cailloux.
Les êtres sont en quelque sorte fossilisés, figés en une éternité quasi immuable. Les paysages ont des allures de planètes interstellaires qui tiennent à la fois de la science fiction et du fantastique onirique. On y verra peut-être les images d’une planète telle que la laisseront les On y verra peut-être les images d’une planète telle que la laisseront les humains lorsqu’ils auront épuisé toutes ses ressources.
Michel Voiturier
Alain Tapié, Arlette Zwingenberger et collab., L’homme-paysage, Paris/Lille, Somogy/Palais des Beaux-Arts, 2006.
Jean-Pierre De Rycke et collab., Dali-Pitxot, une amitié au cœur du surréalisme, Bruxelles/Tournai, Marot/Musée des Beaux-Arts, 2017
Poster un Commentaire