Monographie et visite d’atelier
Artiste multiple, céramiste-potier, Pierre Culot (1938-2011) fut aussi sculpteur, auteur d’architectures en terre, designer, paysagiste…, de renommée internationale. Retour en livre sur une carrière singulière et invitation à une porte ouverte d’un atelier toujours actif.
Ceux qui l’ont connu savent qu’il était un artiste hors normes à la fois ancré dans la tradition à travers la pratique de la céramique en tant que potier, à la fois totalement singulier et hors du temps, c’est-à-dire intemporel, par les développements sculpturaux aux allures et dimensions architecturales de très nombreuses réalisations. L’imposante monographie publiée récemment rend compte en textes multiples et moultes photographies de grand format, du parcours professionnel assez étourdissant d’un jeune homme né à Malmedy, installé finalement dans le Brabant wallon, mai un peu globe-trotteur pour les besoins de ses apprentissages et de ses projets. Insatiable, au fil du temps et de ses rencontres, il a commis son œuvre entier dans la diversité d’un attachement à la terre et à la nature, dans un registre à nul autre pareil.
Esquisse d’un parcours
La lecture de l’ouvrage, un très beau livre tant en textes qu’en images, vous dévoilera les arcanes et les détails d’un parcours dont chaque étape est une conquête d’un esprit créateur aussi vif, imaginatif que libre et respectueux des cultures dont il s’imprègne. « Pas de ligne droite, » écrit l’architecte Karl Fournier, « mais une existence et une œuvre faite de courbes et de détours, les deux menées (…) dans une jubilation, un instinct de vie acharné », ajoutant : « Tout chez lui respire la liberté ». Et l’auteur de classer Pierre culot parmi ceux du « Land Art, à part entière et parmi les meilleurs ».
On peut considérer que son parcours de vie et d’artiste, les deux sont indissociables, balisé par Anne Bony, débute véritablement en 1953 alors qu’il rejoint l’École des Métiers d’Art de l’abbaye de Maredsous où l’atelier de céramique est florissant. Ses rencontres avec Antonio Lampecco et Michel Pirard le marqueront avant qu’il n’entre pour quelques mois à La Cambre et surtout qu’il fréquente l’atelier du céramiste Antoine de Vinck. C’est encouragé par ce dernier qu’il rejoint la Leach Pottery, à St Ives dans les Cornouailles. Un atelier très réputé, construit dans les champs, où il acquerra les compétences techniques de tout bon potier, y compris la maîtrise des glaçures, et sera influencé, grâce au maître des lieux Bernard Leach, par la poterie Song (tradition chinoise), par les pratiques traditionnelles d’Extrême-Orient et particulièrement du Japon. Au sortir de cet apprentissage en Angleterre, il se sent « adulte, responsable et libre ».
Commence alors une vie mouvementée dès son installation à Bruxelles en 1961 après avoir fréquenté au Congo des potiers africains et retenu leurs techniques. Dès sa première exposition en 1962, il connaît le succès et rencontre bientôt des artistes tels Dewasne, Prouvé, Alechinsky… Alors qu’il a déjà voyagé en Tunisie, il prend la route pour l’Italie où il rencontre Morandi, et pour la Grèce. Plus tard, il se rendra en Inde et au Japon, poursuivant une sorte de formation continue. Sa voie et sa reconnaissance sont d’emblée internationales puisqu’il expose rapidement à Paris, Londres, Zurich, Genève, Luxembourg, Vallauris, Faenza…, ainsi qu’à Tokyo. Son art de potier a pris de l’ampleur, a gagné en singularité formelle et, à côté d’une production utilitaire, s’exprime en des dimensions déjà imposantes. L’auteure note que « son vocabulaire personnel se révèle avec d’étonnants vases montés en plaques, aux formes quadrangulaires simples », également qu’il « s’émancipe de ses maîtres, abandonne les références et glisse vers son propre destin ».
De la poterie à la sculpture
Dès les premières années de 1960, « l’essentiel de son répertoire de forme existe déjà » et il atteint au sculptural car « il compose des colonnes, totems expressifs structurés d’éléments assemblés ». Sans jamais quitter la poterie qu’il singularise sans cesse formellement et par la variété des glaçures, il s’engage sur d’autres voies, indépendantes et non-fonctionnelles car « il s’autorise une liberté d’expression ». 1970 marque un tournant, « il provoque un glissement inédit et invente une dimension architecturale du vase » et aussi « le pot se mue en puzzle sculptural ». Les œuvres composites seront l’une des singularités de ses créations dont est soulignée « la beauté tranquille ». Désormais il s’engage dans une relation de connexions avec la nature et avec la construction architecturale. Il érige des murs en briques d’argile cuite, il conçoit des claustras, dresse des murs de pierres irrégulières, réalise des structures en bois. Non seulement il a gagné son « statut de sculpteur », mais il devient paysagiste de jardin en agençant les lieux et en y implantant ses stèles monumentales dans une « esthétique brutaliste » qui joue des vides et des pleins. Il « refuse l’abstrait » et parle de « l’homme vertical », du surgissement humain venu de la terre et en arrivera même à recycler des matériaux. Invité dans les musées européens, il l’est également à la Documenta 7 dirigée par Rudi Fuchs. Le potier n’est pas artisan mais artiste à part entière.
Un atelier en activité
Au moment où les métiers de l’art sont remis en valeur et la céramique en particulier, la récente foire Art Brussels l’a encore largement démontré, il est très instructif pour les jeunes générations de redécouvrir une œuvre qui n’a pas d’âge et une démarche très largement ouverte qui abolit les hiérarchies tant les pots ou les vases tiennent de la sculpture autant que les totems et les stèles, tant les constructions, les portes et autres murs participent de l’architecture. Ici, c’est la création qui est célébrée, parfois dans la collaboration enrichissante, avec les designers, décorateurs ou les architectes.
Une visite de la maison de Roux-Miroir et de l’atelier apportera une preuve concrète de l’étendue de l’œuvre de Pierre Culot d’autant plus que l’on découvrira aussi une bonne part de sa magnifique collection, de ses réalisations en tant que designer, y compris un escalier unique, et de son génie de paysagiste. Partout, la modernité, celle qui ne prend pas une ride, s’impose dans un mixte de tradition qu’il « dépasse, outrepasse » et d’avant-gardisme (il utiliser des blocs d’acier compacté) transcendant les modes et courants. Aujourd’hui cet atelier reste d’autant plus actif que des résidences y sont organisées et que de la vaisselle issue des moules originaux sort encore des fours. La visite est un moment de bonheur.
Claude Lorent
Publication : Pierre Culot 1938-2011, 296 p., 280 ill. n/bl et coul., textes de Anne Bony, Emmanuelle Duguet, Matthew Tyas et Karl Fournier, cart., format 33 x 24, 2023. Ed. Fonds Mercator Bruxelles. 65€
Maison-atelier, Rue de la Poterie 7, 1315 Roux-Miroir, visite sur rendez-vous. info@pierreculot.com ; www.atelierpierreculot.com Une master class de 4 jours est organisée les 10, 11, 12 mai et 6 juillet.
Le dimanche 9 juin, portes ouvertes de l’atelier à Roux-Miroir avec présentation des œuvres d’Anouk Albertini réalisées à l’Atelier récemment. De 12h00 à 17h30, en présence de l’artiste.
Légendes photos
Pierre Culot artiste paysager. Alignement de stèles, vers 1990, grès, 200 x 80 x 40 cm, dans le parc-jardin de Roux-Miroir. Le motif peut être considéré comme un hommage à la statuaire hellénistique et au drapé de La Victoire de Samothrace (IIe siècle av. J.-C) © P. Culot ©Photo Fr. Vandenberghe
Pierre Culot, Grand pot composé, vers 1972. Grès partiellement émaillé, 91 x 88 x 19 cm. On remarquera la stature verticale assimilable à l’homme debout et la structure composite (puzzle sculptural). Collection Roux-Miroir. © Photo D.R.
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