Othoniel, une réalité transposée

Othoniel « Cosmos ou les Fantômes de l’Amour » au Palais des Papes

Branle-bas de combat à la Fondation Yvon Lambert : Othoniel envahit la Cité des Papes en y installant ses sculptures dans les endroits stratégiques. Reste au public à arpenter la ville en large et en long.

On dirait volontiers qu’Othoniel en répartissant plus de deux cent cinquante œuvres dans Avignon s’est comporté en conquérant. Il fallait qu’il soit là, quasi dans le moindre coin citadin comme pour affirmer : je suis ici chez moi et mes créations s’harmoniseront avec le riche patrimoine de la cité. Il est vrai que sa production s’adapte à bien des lieux historiques. Certaines sculptures ont la discrétion d’un bijou et s’accommodent d’une certaine intimité, d’autres s’imposent monumentalement dans des endroits de grand air ou de vaste amplitude.

Une première approche est suggérée dans les locaux de la Fondation Lambert. Là, Jean Michel Othoniel (Saint-Etienne, 1964)  a joué le jeu d’un commissaire d’expo. Il entreprend un dialogue entre sa production et des œuvres d’artistes conceptuels de la collection. C’est une réussite. La cohabitation avec Carl André, Cy Twombly, Sol Lewit, Donald Judd, Robert Ryman… s’avère dialogue entre chaque artiste et lui. Aucun mimétisme entre leurs travaux et ceux du Français mais des éléments de connivences, une sorte d’apaisement général, une complémentarité sereine de présences plastiques contemporaines.

Monumental

Son travail essentiel porte sur le verre. Une matière qui sied tout aussi bien à un bijou qu’à un espace de cathédrale. Il faut dire que ce prolifique a déjà essaimé dans bien des sites et des musées à travers le monde. Sans doute peut-on déduire que la séduction qu’il suscite tient probablement au fait que pas mal de ses créations possèdent un indéniable aspect décoratif.

Sa technique majoritaire est  l’enfilage de perles et, un assemblage un peu à la façon du jeu de lego. Il assemble ou accumule en effet des briques de verre colorées ou en inox poli selon des assemblages à géométries variables. C’est l’aspect architectural de son travail et la raison pour laquelle il s’inscrit particulièrement au patrimoine monumental.

Il ressort de la plupart des pièces réalisées une beauté formelle sage. En l’occurrence, ce sont des sensations essentiellement visuelles. La variété des coloris offre une polychromie soit par la franchise des teintes, soit via la multiplicité des nuances parfois fort subtiles. C’est aussi l’apport de la lumière qui joue sur et avec les couleurs et la translucidité verrière ou sa réflexivité. L’impression générale est celle de se trouver entre la création artistique pure et l’artisanat minutieux respectueux de la matière, entre des agencements géométriques quasi mathématiques et des symboliques plus ou moins universelles.

Symbolique

Premier abord : la transposition du réel en utilisant des éléments scientifiques (comme le nœud borroméen aux trois cercles entrelacés familier de Lacan ainsi que l’astrolabe des astronomes). Seconde option :  les références à une fiction issue de la réalité (comme les sonnets de Pétrarque à son amoureuse Laure, important épisode d’amour courtois dans l’histoire littéraire française). Dernier composant : les valeurs attribuées aux couleurs et à des signes issus du sacré.

Dans les larges espaces de nombre de lieux intérieurs du gigantesque Palais des Papes, les objets conçus par l’artiste optimisent leur pouvoir suggestif. Ainsi, dans la Grande Chapelle, une rivière étale-t-elle son eau et les vaguelettes bleutées de ses 7.500 briques juxtaposées sous quatre « Cosmos » de 5 mètres de diamètre.

Les « Tombeaux » laissent le choix entre l’évocation de la mort met fin à un amour ou l’espérance d’une résurrection miraculeuse. En suspension, « Le grand lasso » égrène ses perles géantes miroitées qui se reflètent les unes dans les autres et incarne la tornade tout en étant concrétisation d’une imbrication entre réel météorologique et l’imaginaire engendré par l’action qui en découle. Des « Constellations » visualisent les signes du zodiaque, présence condensée d’une réalité céleste et d’un irrationnel astrologique. En inox, « Yardang », relief rocailleux sculpté par les vents, joue au nuage corrosif.

La peinture n’est pas étrangère à Othoniel mais il la montre rarement. Celle consacré à des végétaux de son herbier se décline sur les murs de la Chambre des Festins en une soixantaine de tableaux. Ceux-ci apportent une autre perception graphique de la nature (chrysanthèmes, pivoines, passiflores, glycines…). Ils prolongent les sculptures de « Roses sans épines », emblèmes de la passion et de la résurrection du Christ censés provenir du paradis tandis que le « Liseron » de la chambre pontificale insère entre les pierres inertes une haute valeur imaginaire du vivant.

Le parcours est parsemé par les suspensions des « Amants » et des « Colliers » dans la tour des Anges, avant d’aboutir, dans les jardins à « La fontaine des délices ». Au-delà, sur le célébrissime pont de la cité, flanqué de la « Croix des bateliers » du Rhône bénira sans doute ceux qui y croient. Au fil d’une promenade, ce qui s’avèrerait normalement une visite touristique à caractère historique finit par prendre des allures d’exploration liée à l’onirisme de rêves nourris d’une sérénité intemporelle.

Michel Voiturier

« Cosmos ou les Fantômes de l’Amour » à la Fondation Lambert, au Palais des Papes, dans les musées et divers lieux d’Avignon jusqu’au 4 janvier 2026.

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