Nathalie Amand (Soignies, 1968) a derrière elle un beau passé de photographe. Elle avait entre autres conçu des collages érotico-poétiques, des natures mortes au symbolisme fort, des gisants nimbés de transparence. Elle avait déjà utilisé des objets pour agencer des « Compositions surréalistes ».
Cette fois, elle propose une revisitation du tarot de Marseille. Elle reprend chaque carte ou lame dans le jargon des spécialistes afin de l’illustrer à sa manière. La tradition possède ses propres illustrations dont la portée symbolique suscite des gloses diverses. La fantaisie sera donc l’apanage de cette version. Mais pas que…
Ce qui agrémente chaque lame est un assemblage d’objets multiples, en général de petit format (du style surprise des œufs en chocolat Kinder), de bibelots émigrés de brocante hétéroclite. Ces rapprochements insolites qu’on aurait tendance à qualifier au premier abord de surréalistes, forment d’étranges saynètes qui finalement, comme chez Magritte, tiennent d’un réel soudain décalé de sa logique visuelle qualifiée de normale, attestent de « la trahison des images ».
Quoi de plus légitime, ici, de rencontrer un super-héros de BD ou de cinéma affrontant un moulage dentaire. Quoi de plus évident que de suivre un(e) cavalier(e) d’apparat prendre un élan de championnat d’équitation afin passer l’obstacle d’une coupette.
On retrouve çà ou là ces crânes qui renouent avec la tradition de vanités de jadis. Celles-ci sont complétées par des membres éparpillés, une collection d’épées et de pièces de monnaie, des fragments disparates qu’on imagine avoir longtemps hanté ces globes de verre dans lesquels nos aïeux plaçaient des statues religieuses à invoquer, des souvenirs profanes de mariage à se remémorer.
Passer en revue des bustes immaculés permet de défiler devant l’arrogance d’un souverain ou d’un prélat, l’extatique moue d’une déesse ou d’une servante, le regard de verre d’une fillette dont l’anatomie lorsqu’elle est présente est celle d’une Lolita.
Les figurines ont la candeur apparente de rendre ambigu un couple de bambins, voire d’insister sur l’insécabilité des jumeaux siamois ; elles ont également le toupet de parodier des Vénus protégées par l’histoire de l’art. Et les triviales roulettes pour mobilier mobile ont des allures de moteurs magiciens susceptibles d’influer sur les destins.
Libre à chacun, une fois découverte l’imagerie, de se tirer les cartes et de prédire ce qui les arrange pour soi et les autres, en tenant bien compte de la lumière plutôt crépusculaire qui baigne les motifs de ce jeu insolite et poétique.
M.V
Livre-objet : « Le Tarot de Nathalie Amand », Merlin, Les déjeuners sur l’herbe, 78 cartes, 2020, 20€ http://www.lesdejeunerssurlherbe.com/index.html
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