Marcher pour dessiner, Charle-Henry Sommelette à l’ECC

Il y a 6 mois s’ouvrait à Forest l’Espace Constantin Chariot, un lieu d’exposition de 4000 m2 dans l’ancienne usine Atoma. En 1924, un certain Mr Mottart achète le brevet du carnet à roulettes que nous connaissons tous. Il fait fabriquer les cahiers Atoma à Forest jusqu’en 2017. Constantin Chariot, co-fondateur de La Patinoire royale en 2014, vient d’ouvrir ce lieu, avec l’aide des propriétaires des lieux, l’architecte Gilles Dehareng et son épouse Nina.

Murs blanchis, sol en béton, entrons pour découvrir de deuxième accrochage que propose Chariot. En menu principal, Johan Van Mullem, dont les petits dessins « à la manière de » Rembrandt avaient attiré mon oeil il y a quelques années. Malheureusement, les formats monumentaux me donnent la sensation d’être datés, mal embouchés, too much. Van Mullem est un artiste prolixe et polymorphe, me dit Constantin Chariot. Je ne sais pas. Cette idée du grand format, du geste large, de cette « superbe » peut-être pas très contrôlée, … Faire grand absolument. Ainsi, ce diptyque représentant un immense vagin et une immense verge, sur fond vert vif … Pour scandaliser le visiteur, l’épater ? Faut-il encore et toujours, en 2025, épater le chaland ?

Néanmoins, je m’arrête avec plaisir devant les bustes en céramique, gueules cassées émouvantes, visages émergents de la terre, fragiles et délicats. Ainsi que devant quelques paysages de très petit format, bien amenés et maîtrisés, avec un main classique et une palette intéressante.

Passons dans l’espace joliment appelé « Carnets de croquis » pour découvrir une nouvelle série de dessins au fusain ou à la sanguine de l’artiste liégeois Charles-Henry Sommelette (1984).

La manière est « classique », mais le propos tout à fait contemporain. Ce sont des paysages, et ils racontent notre époque. Celle où la fonction de l’image est de subjuguer le spectateur, l’emmener loin, ailleurs, à la manière de Lynch, là où ni la photographie, ni aucune autre image littérale ne peut l’emmener. Avec une aisance dans le geste, l’artiste invente une narration à la fois mélancolique et poétique, lente et mystérieuse dans laquelle on se laisse couler avec délice.

Tout d’abord, une série de tout petits formats en noir et blanc ou au pastel de couleur, représentant le même sentier traversant une forêt. La même image, dessinée de nombreuses fois, comme pour en extraire l’essence, la structure profonde. L’ombre des grands arbres sur le sentier, la profondeur de champ, … C’est un ici et maintenant presque luministe, tant la lumière joue ici le premier rôle.

Comme Paul Auster, qui fait un fantastique parallèle entre la marche et l’écriture, la marche et les mots qui viennent, Sommelette fait émerger ses dessins de ses promenades régulières, souvent sur les mêmes chemins, chaque pas provoquant une évocation qui deviendra une image.

« […] mais de même qu’un pas entraîne immanquablement le pas suivant, une pensée est la conséquence inévitable de la précédente et dans le cas où une pensée en engendrerait plus d’une autre […], il sera non seulement nécessaire de suivre la première jusqu’à sa conclusion mais aussi de revenir sur ses pas jusqu’à son point d’origine, de manière à reprendre la deuxième de bout en bout, puis la troisième, et ainsi de suite, et si on essayer de se figurer mentalement l’image de ce processus on verrait apparaître un réseau de sentiers, telle la représentation de l’appareil circulatoire humain, […] ou telle une carte, […] de sorte qu’en réalité, ce qu’on fait quand on marche dans une ville, c’est penser, et on pense de telle façon que nos réflexions composent un parcours, parcours qui n’est ni plus ni moins que les pas accomplis, si bien qu’à la fin on pourrait sans risque affirmer avoir voyagé et, même si l’on ne quitte pas sa chambre, il s’agit bien d’un voyage, on pourrait sans risque affirmer avoir été quelque part, même si on ne sait pas où, » écrit Paul Auster dans l’Invention de la solitude).

De même, un pas après l’autre, Sommelette nous emmène, après ses marches et par le dessin, quelque part, vers un lieu chaque fois mystérieux, une concrétion d’instantanés et de ressentis. Chaque dessin est une narration dont on ne connait ni l’instant qui précède ni celui qui va suivre. Et chaque élément se prête avec subtilité au jeu lynchien que l’artiste apprécie. On y plonge avec un légère appréhension et beaucoup de jubilation.

Pour le très grand format présenté ici, paysage sous la neige, l’oeil est aspiré dans ce ciel brumeux, bas, la neige a fondu par endroits et il y a là un mystérieux tas de bois. Quelque chose s’est passé ici, dirait-on.

Plus mystérieux encore, les « arrêts sur image » présentant des paysages périurbains : dans un jardin clos, une piscine, là, du mobilier de jardin, plus loin, une piscine pour enfants vaguement dégonflée. Ces dessins à la mine de plomb ou à la sanguine semblent muets mais sont pourtant suffisamment intrigants pour plonger le spectateur dans un questionnement. Qu’est-t il arrivé ici ? Un banal moment en famille, une fête amicale pleine d’énergie joyeuse, ou plutôt, un drame dont nous ne saurons saurons rien ? Etonnant, n’est ce pas, comment un simple dessin peut proposer de multiples couches d’interprétations, de possibles rêveries, une sensation d’étrangeté qui nous laisse le nez collé au dessin, tentant de résoudre l’énigme ?

Muriel de Crayencour

Johan Van Mullem
Living memory

Charles-Henry Sommelette
Voir venir

Espace Constantin Chariot
Jusqu’au 2 mars
espaceconstantinchariot.com

©photos: ECC

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