Loureiro, locataire polychrome du FRAC Grand Large

José Loureiro, Un spécimen de la série "Acarien", 2018 © Adagp, Paris, 2024

Comment appréhender José Loureiro (Mangualde, 1961; vit et travaille à Lisbonne) sinon comme une sorte de boulimique glouton gargantuesque qui aurait tendance à dévorer tout ce qui passe à sa portée de l’histoire de l’art avant d’en restituer ce qui l’a nourri et qu’il a transformé. Les adjectifs susceptibles de le définir sont : prolifique, prolifique, prolifique, etc… Il y a dans son œuvre une vitalité permanente et contagieuse sous-tendue par le ludique.

Ses « Narcisse » sont dix-sept toiles aux personnages chorégraphiés. Leurs mouvements saisis au vol ont quelque chose de la mécanique de robots primitifs. Leurs membres ont des aspects métalliques. Leurs faciès sont soit vides soit remplis notamment par des regards personnalisés ; ils disposent d’un tronc et quelquefois de jambes ou bras constitués d’une surface colorée à motifs plus ou moins géométriques. Leurs attitudes un peu tordues donnent l’impression d’une gestuelle pour défilé parodique. Cela tient à la fois de la marionnette et du clown, de l’acrobate ou d’un mime goguenard.

Le spectaculaire appartient à sa façon de travailler. Il aime les formats hors normes. Les volumes intérieurs du FRAC Grand Large se prêtent particulièrement au gigantisme. Ainsi, le « Boson de L » (plus de 16m de haut sur plus de 5 de largeur !) est une œuvre impressionnante. Elle offre une sorte de nuancier de 162 coloris sur toiles horizontales de petite dimension (20×271 cm) assemblées en trois colonnes. Individuellement, chacune reçoit le contenu d’un tube d’une couleur d’une même marque, diluée et appliquée d’un unique coup de pinceau. Les nuances sont infinies puisque le pinceau n’est pas imprégné de la même densité ni sur ses bords que dans son milieu, ni au début du geste qu’à sa fin. Le regard est donc sollicité au maximum de sa perception. Il est censé capter l’énergie que chaque coloris dégage et nous la transmettre.

Toujours sensible à ce qu’il découvre dans le monde et dans les expos, Loureiro nous amène là où nous ne l’attendons pas. S’il aborde l’abstraction géométrique, sur fond monochrome, souvent blanc ou rouge, il se lance dans une recherche de l’équilibre et du mouvement en y plaçant des lignes (parfois devenues formes géométriques simples). Elles semblent perdues au sein d’un vide, en quête d’un plein qu’elles ne parviendront jamais à devenir. En résulte une plasticité simultanément froide et fascinante, une rigueur qui s’inscrit dans la fantaisie qu’aucun mot ne réduit à ses signifiés puisqu’aucun titre ne les identifie.

José Loureiro, « Boson de L » intégralement exposé à Dunkerque ©Adagp Paris 2024 / Paul Tahon

Lorsqu’il y en a, le rapport avec les sciences n’est jamais très loin mais pas nécessairement de manière directe. C’était le cas pour « Boson ». Ce le sera pour « Synapse ». Géométrie et monochromie y font bon ménage au grand dam de toute logique. L’artiste se livre à des expérimentations davantage matiéristes lorsqu’il se sert de bandes de tissus utilisés en milieu hospitalier pour panser des plaies. Il peint directement sur cette matière brute ou dont il a modifié la trame. D’où une texture picturale particulière à la fois visuelle et tactile.

S’il lui arrive de renouer avec un certain réalisme figuratif, il y aura nécessairement brouillage avec réel. Les « Acariens », bestioles de sinistre réputation, ne peuvent s’empêcher de s’apprivoiser en humour. Résultat de gestes picturaux vifs, leur présence devient une sorte de double identité, comme il en va dans la langue avec les mots valises. On aurait volontiers l’impression qu’ils sont destinés à passer un casting pour dessin animé.

Pour nous certifier à quel degré il prend plaisir à nous mener là où il veut, Loureiro,se paie même le luxe de faire un foutu pied de nez à son affirmation que son travail n’est pas narratif ; il nous laisse partir avec une série intitulée « Une famille comme les autres » qui jubile dans le caricatural. De quoi inciter à retourner dans l’expo pour y retrouver « Seurat en Hollande » et d’imaginer une impossible anecdote qui lui conviendrait tout en s’interrogeant sur la présence sur l’usage d’une bande de gaze amenée à produire sous la pression du pinceau et de la fluidité de la peinture des particules de pigments qui sont « laissées sécher au soleil comme des poissons morts ».

À signaler une invitation, sur le site du FRAC : la possibilité de voir et entendre sur le net un accompagnement musical réalisé par Benjamin Mialot sur certaines créations. Ainsi que l’intérêt particulier du catalogue aux allures de livre d’artiste, présenté en cahiers divers qui reprennent l’image des œuvres exposées dont certaines détachables, rapportent les paroles de l’invité questionné par la commissaire de l’expo Keren Detton, des indications précieuses sur les œuvres, des textes fantasques où le peintre s’abandonne à l’écriture de nouvelles.

Michel Voiturier

Au FRAC Grand Large, 503 Bancs de Flandre à Dunkerque jusqu’au 1 septembre 2024 : « Loureiro croque couleur ». Infos : +33 (0)3 28 65 84 20 ou www.fracgrandlarge-hdf.fr  

Catalogue : Julie Gilbert, Keren Detton, José Loureiro, « Croque Couleur », Dunkerque/Nevers, FRACGrand Large/Tombolo Presses, 2024, 176 p. (30€).

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