C’est toujours avec un plaisir certain que l’on retrouve le chemin de l’Orangerie à Bastogne. Les quelques expos entrevues ces derniers temps ont le charme de nous captiver et de nous faire réfléchir sur les drôles de temps qui courent… Jusque dimanche c’est une expo sur le thème de l’exil et de l’immigration qui s’offre au public. D’entrée de jeu, Gwendoline Cabé-Maury, la jeune commissaire nous met en garde: cette exposition ne tend pas à bousculer les idées reçues sur l’immigration ni d’en aborder l’aspect didactique et spectacularisant. En effet, il suffit de jeter un œil sur les artistes sélectionnés pour se rendre compte que le choix d’artistes s’est porté presqu’exclusivement sur des artistes ayant vécu personnellement cette problématique. Que ce soit au travers de films, de dessins ou de sculptures installations. Tous ont choisi, à travers leur parcours singulier, la fibre du cœur et de l’intellect pour nous parler de cette problématique.
Helldorado, sur les chemins de l’exil, titre aux accents évocateurs, nous ramène à cette ruée vers l’or des conquistadors espagnols. Doublé d’une quête de paradis perdus ces déplacements tournaient très vite au cauchemar pour beaucoup d’entre eux. Comme le sont aujourd’hui les traversées des migrants qui revivent à leur manière cette quête éperdue d’Eldorado vers des mondes meilleurs, loin des conflits et de la misère. Aujourd’hui, ce ne sont plus les pépites qui les font rêver mais les avantages d’une civilisation consumériste ou l’acquisition du dernier iPhone ou du salaire mensuel garanti agissent comme des aimants follement attractifs. Faut-il que les chants des sirènes soient tellement envoûtants pour que soient vaincues les peurs et souffrances d’un périple homérique?
11 artistes nous parlent de leur expérience de voyage et d’immigration.
L’humour est présent chez Younes Baba Ali . L’artiste nous surprend dès l’entrée du parc de l’Orangerie ou un haut-parleur déclenche à intervalle régulier le nom de « Mohammed ». Interpellant comme l’est également la deuxième œuvre de l’artiste présente dans le parcours d’expo. Non sans ironie, s’adressant directement aux futurs candidats immigrants, il vante les mérites des différentes stratégies d’accès liées aux systèmes de protections sociales. Il se situe aux antipodes des discours misérabilistes véhiculés par les médias européens avec un discours mobilisateur destiné aux éventuels candidats d’un tourisme social.
Bruno Boutjelal, dans sa vidéo collage nous propose 9 petits films tournés par les immigrants eux-mêmes avec leurs téléphones portables sur les barques de fortunes. Ce sont généralement des aventures qui se sont bien terminées et donc les ambiances sont plutôt joyeuses. Une manière sans doute comme une autre de se donner du courage en évacuant le stress. Nul doute que la paternité de l’œuvre est ici mise en questionnement… Qui sont les véritables auteurs de cette vidéo ? Ceux qui réalisent les images des films ou celui qui les rachète pour en faire une œuvre d’art ? Cela fait réfléchir en tout cas. Thomas Hirschhorn coutumier de ce genre de problématique nous répondra que l’auteur réel du film est autant tributaire que l’artiste du droit de paternité de l’œuvre. C’est un autre débat…
Une des œuvres phares de l’exposition est sans nul doute les valises de sable de Taysir Batniji, la vidéo installation est constituée d’un empilement de valises saupoudrées de sables. Avec dans la vidéo des images capturées à Gaza . En fond sonore: le bruit des avions survolant à intervalles réguliers cette bande de terre. Un climat général rehaussé par une série de dessins réalisés sur le vif de mémoire lors de son blocage durant trois jours dans la ville frontalière de Rafa. Le malaise d’une réalité palestinienne rendue comme un uppercut en pleine face.
Plus léger sur le fond mais non moins percutant au niveau de l’impact visuel, le chariot remorque tiré par un vélo de course de Barthélémy Toguo . La montagne de sacs bariolés ficelés en hâte nous indique la provenance du convoi. Originaire de Côte d’Ivoire l’artiste est sans doute coutumier de ce genre d’attelage. Il semble nous indiquer que les routes de l’exode sont souvent le résultat de décisions prises dans la hâte et l’urgence…
Un petit coup de cœur, les babouches de sept lieues de l’artiste franco algérienne Katia Kadeli, protégée dans leur sarcophage de verre, elles nous renvoient en mémoire les contes de notre enfance et nous rappellent que la marche est un des premiers moyens de déplacement de l’homme… L’aspiration au voyage retour se love également dans une autre pièce de l’artiste. Un film, rassemblant images d’archives noir et blanc et images actuelles d’Algérie, nous parle d’une problématique liée à la double appartenance identitaire et la difficulté d’opter pour l’une ou pour l’autre. Un retour aux origines, vers la ville natale du père. Une réactivation de la mémoire entrecoupées d’archives visuelles du passé et du présent, sur fond sonore de chocs de cultures.
Quelques pièces plus conceptuelles viennent également ponctuer l’ensemble, je citerai la porte armoire entrouverte sur une zône de transit à franchir de Basserode . Très belle oeuvre conceptuelle également et peut être un clin d’oeil sous forme de pied de nez à la mobilité de notre jeune commissaire, ce sont les deux îles géolocalisées dans la rotonde de l’orangerie par Charles Lopez sous forme d’écriture murale. L’oeuvre politique de Kader Attia. Une phrase écrite à la craie blanche sur le mur de l’entrée: «Résister, c’est rester invisible». Un hommage détourné sous forme de dénonciation indirecte à tout ces voyageurs clandestins. Ces «sans noms» qui peuplent par milliers nos Helldorados marins… Les nuées de tampons “FOREVER IMMIGRANT” de Marco Godinho, nous rappellent que la véritable patrie de l’émigrant ce sont les nuages. Des nuages qui “pour l’éternité” traversent les frontières sans visa ni tampon.
L.P.
L’Orangerie Helldorado, sur les chemins de l’exil Du 26 mars au 12 juin 2016 http://www.lorangerie-bastogne.be 11 artistes : Kader Attia, Younes Baba-Ali, Jérôme Basserode, Taysir Batniji, Bruno Boudjelal, Mekhitar Garabedian, Marco Godinho, Katia Kameli, Sigalit Landau, Charles Lopez et Barthélémy Toguo
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