Les labyrinthes palpitants de
Yunchul Kim

Le pavillon coréen à la 59e Biennale d’art de Venise présente Gyre, une série d’installations “pataphysiques” interconnectées, largement alimenté par des mélanges de lumière et de matière dans lesquels l’ordre et le chaos coexistent. L’auteur, Yunchul Kim, est un artiste transmédia qui évolue entre la composition électronique, l’art, la science et la philosophie.

Gyre signifie mouvement circulaire ou en spirale. L’ensemble du projet s’inspire du motum perpetuum, la succession incessante de tourbillons et de spirales, de montées et de descentes, d’envolées et de chutes, qui constituent la vie humaine et celle de l’univers, dans toutes ses dimensions (physique, chimique, psychique ou sociale). Les œuvres, chacune à sa manière, palpitent d’une vie propre, sur fond d’un magnifique dessin qui a lui aussi un mouvement tourbillonnant. Individuellement et dans leur ensemble, les installations qui composent Gyre évoquent des évolutions labyrinthiques et des expériences métamorphiques, plongeant le spectateur dans un état d’émerveillement et d’inquiétude.

Argos – Les Soleils gonflés est une œuvre inspirée du texte de Raymond Roussel, La poussière de Soleils. Elle consiste en trois réservoirs pentagonaux placés verticalement et remplis d’un nouveau matériau liquide créé par l’artiste lui-même. Une interaction complexe entre les produits chimiques, la lumière et les logiciels a lieu dans les conteneurs kaléidoscopiques. Il en résulte un mouvement lent et constant du liquide dense à l’intérieur des réservoirs. Soudain, des micro-explosions et des catastrophes chromatiques se produisent, comme celles qui se creent peut-être lorsque des soleils, même ceux que nous ne connaissons pas, explosent dans le cosmos, dispersant des tempêtes de poussière et de paillettes chacun dans son propre univers.
Impulse est un lustre splendide, dans lequel la lumière scintille en se mélangeant à l’eau de mer de Venise. L’eau de la lagune, une fois canalisée et conduite par une myriade de tuyaux dans cet immense alambic, est transmutée en lumière, reliant l’espace intérieur et extérieur dans une sorte de fusion mystique.

L’œuvre la plus ancienne de l’exposition est Flare (2014). Dans un grand tube à essai, deux liquides non miscibles en raison de leurs propriétés et de leurs densités spécifiques différentes, ont été scellés ensemble. Ils ne peuvent pas être intégrés, mais leurs surfaces, recouvertes de matériaux hydrophiles, brillent de temps à autre comme “une flamme humide” grâce à un mécanisme d’activation complexe.
Enfin, au centre de la salle, une créature techno-mythologique géante s’étire, se tordant en tourbillons et en spirales, sur environ 50 mètres. Ça s’appelle Chroma V et a une longue histoire: c’est le raffinement d’autres créatures similaires et de prototypes plus simples, le résultat d’une longue expérimentation qui a duré environ vingt ans. Dans sa version la plus complète et spectaculaire presentée ici, elle apparaît désormais comme une créature vivante, sinueuse et hypnotique.
L’oeuvre a la forme d’un serpent, un immense Ouroboros techno-liquide, enroulé sur lui-même dans une toile de nœuds tourbillonnants. Il aurait pu sortir d’un bestiaire médiéval. Sans ses caractéristiques technologiques avancées, ça pourrait être la reproduction d’une bête marine, d’une chimère des airs ou d’autres monstres qui ont toujours habité l’imaginaire collectif. Mais cette créature n’est pas seulement scintillante, repoussante et attirante à la fois, elle est aussi palpitante et animée comme une créature vivante avec sa propre énergie vitale autonome. Un fluide lumineux circule dans la chaîne de cellules-modules de métal et de verre qui constituent ses écailles, lui conférant une étrange forme de vie. Évidemment, le liquide qui y circule est contrôlé par un programme qui rend l’installation fluorescente, tourbillonnante et pleine de turbulences de manière totalement artificielle. Mais l’effet est aliénant et hypnotisant à la fois.

La genèse de Gyre est, de l’aveu même de l’artiste, inspirée par un poème de Yeats, The Second Coming, datant de 1919. En la relisant, la synesthésie sensorielle et conceptuelle complexe qui lie les deux œuvres apparaît pleinement. Le poème de Yeats et l’œuvre de Kim (notamment Chroma V) ont en commun une portée visionnaire et cosmique, ainsi que des références à des archétypes culturels ancrés dans l’imagerie religieuse. Mais contrairement aux images poétiques de Yeats, les œuvres de Yunchul Kim sont des concrétions réelles d’un imaginaire qui ne reste pas sur le papier, ni seulement dans l’esprit, mais prend vie, bien que sous une forme étrange. C’est pourquoi, en eux, avec les créatures de notre imagination collective, ressurgissent les craintes, les espoirs et les questions qui accompagnent leur mystère à chaque époque : qu’est-ce que la vie? Qu’est-ce que la matière ? Qu’est-ce que le temps ? Et surtout, qu’est-ce que l’humain ?

Maria Giovanna Musso
(Associate Professor at the University of Rome, Sapienza)

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