« Les grands bains »

Dès l’entrée du centre d’art wallon d’art contemporain de la Châtaigneraie, les grands bains de Djos Janssens invitent à flotter dans une douce ambiance bleu aquarium puis dans les reflets rosés de la majestueuse Dubai. Là tout est beau et parfait. Là, le rêve est total, plein, fermé, protégé, sans trace de vie humaine. Là, c’est merveilleux tu touches le sommet du luxe, là tu te branches gratte-ciel, tu t’immisces dans les miroitements, tu fonds dans l’opulence, tu te bandes les yeux pour mieux apprécier, te détendre et surtout ne pas voir ce qui grouille sous la marmite à fournaise, la marmite apocalypse, la marmite à pognon. Surtout ne pas se salir les yeux, rester dans le bleu, dans le rose, rester dans la layette, le nouveau-né qui n’a pas encore les yeux pour voir, qui n’a pas le regard qui démasque les apparences. Ici c’est super samedi tous les jours. C’en est même un peu lassant. Allons montons jouer à l’étage, pour faire bingo ou un gros plouf dans la loterie où s’évanouissent les flots argentés des milliardaires jouant en bourse, en courses, petites autos, petits chevaux. Et hop, sautons par-dessus les barres, obstacles de pacotille, car il en faut toujours plus de sensations pour se sentir vivre quand on est riche à millions, riche à en foutre en l’air la planète. Mais pas de souci restera mars pour ceux qui pourront plus vivre ici quand l’eau des grands bains aura fui, quand il faudra nager dans des flaques parce qu’il n’y aura plus d’eau pour tes six piscines.

Mais allons ne dramatisons pas, regardons-nous dans les miroirs, sans voir les mots d’ambivalence. Ici tout est super. C’est très rigolo la vie et la mort. Et plus haut encore la vague verte attend pour nous donner bonne conscience. La belle nature en fout plein la vue. Les murs là-haut, ils sont tout green green. Et dans un film, il y a un homme qui titube, il chute dans les roses, s’en fout plein les narines. Là serait l’échappatoire dans la douce folie ?

Allons, allons.

Allons revoir les miroirs et revoir les mots cachés.

Revoir chaque salle de la Châtaigneraie.

Refaire un cycle, comme au manège qui tourne en rond mais qui tourne encore.

Revoir tous les grands bains de couleurs et de mots gravés dans la matière.

Se refaire son histoire.

Se tenir à la barre et avancer doucement là où on a pied, là où on discerne encore de la lumière et un sol solide et fiable. Revoir l’eau profonde, non celle qui noie et endort mais celle qui abreuve, éclaire chaque cellule de l’esprit pour laver à grandes eaux les illusions de ce monde, pour se construire un radeau vers une possible issue.

On a de la chance c’est super samedi !

Judith Kazmierczak

Du 07.09 au 10.11.2024

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