L’enfer sur terre est un paradis perdu

Photo de l'artiste présente dans l'installation du S.M.A.K. intitulée HELL ON EARTH

Quand j’ai reçu l’invitation à participer à la visite d’une expo à la galerie Nathalie Obadia, à Bruxelles, je n’ai pas hésité. Je ne connaissais pas l’artiste mais la soirée s’inscrivait dans le cadre d’un séminaire intitulé « L’Art de dire », elle réunirait des amateurs d’art intéressés par la psychanalyse et serait suivie d’un entretien avec l’artiste sur le lieu d’exposition de ses œuvres.

Mon premier contact avec les tableaux, les sculptures et une vidéo de Joris Van de Moortel m’a interloquée et plutôt fait reculer. Un artiste pluridisciplinaire, c’est vite dit, encore convient-il de maîtriser les disciplines en question. J’étais impressionnée par la puissance de ce que je voyais, certes, mais ces couleurs explosives, cet expressionisme, cette incohérence… Encore un touche-à-tout, un imposteur qui fait flèche de tout bois pour se faire remarquer ?  L’entretien avec les organisateurs de la soirée et les Lacaniens présents dans le public ne m’a pas vraiment éclairée, j’étais en contact avec un gars de 41 ans qui avait, durant sa jeunesse, voulu devenir chanteur en grattant la guitare, il s’était dirigé ensuite vers le domaine artistique en passant par une formation à Berlin, il tentait depuis des années de percer sur le marché, un Flamand qui ne parlait que trois mots de français, j’étais irritée. Alors ? Au bénéfice du doute, j’irais au S.M.A.K., à Gand, voir l’installation proposée par le même artiste au même moment.

Un choc. On passe le seuil et on se trouve plongé dans un univers si foisonnant qu’on ne sait dans quelle direction aller, où regarder, comment digérer le désordre régnant, les objets sont rassemblés en si grand nombre et d’une manière apparemment si foutraque, tant de matériaux de natures si diverses, tant d’étrangeté ! Il y a des peintures de très grand format, placées en hauteur, qui habillent les murs comme des tapisseries, il y a des meubles sur lesquels trônent des pantins, des sculptures enrobées de néons qui se tortillent, des crânes, des bougies, des instruments de musique, guitares entières ou en morceaux, peintes, debout ou couchées, des tambours, une nef des fous qui nous embarque et nous bouscule, menaçant de chavirer. Une accumulation de brols ? Des objets de brocante qui auraient dévoré l’espace pour dire l’obsolescence de nos sociétés de consommation ?

installation au SMAK © C.Angelini

Le chaos voulu par Joris VdM, en réalité, est très organisé. Très esthétisant et séducteur. Chaque objet a été disposé dans un microcosme, un environnement étudié. Ca se voit et ça se sent. Cette jungle nous happe dans un monde halluciné, une divine comédie, effrayante et belle à la fois. Qui dit quelque chose de la collision entre le XVIe siècle et le nôtre. Aux connaisseurs plairont les références à Bosch, à James Ensor, à Gustave Moreau ou William Blake, ainsi qu’à la religion catholique… Nous sommes en enfer, on le comprend dès l’entrée grâce à une allusion au volcan dont la bouche aurait été obstruée par les déchets des hommes, à l’image de la circulation empêchée de cette exposition dont le parcours à travers des créations de nature hétérogène aurait pu être harmonieux.

Joris Van de Moortel prophétise-t-il, en moraliste, la destruction de la planète et de notre civilisation ? Son inventivité, sa liberté et son audace démentent cette interprétation. L’invitation qui nous est adressée, notamment à travers différentes vidéos, porte sur certains éléments (le verre, la cire, le feu, le blanc, etc.) à transformer dans le creuset de cet alchimiste qu’est tout artiste. La musique est douce qui sonorise ses images. Et les vitraux aux couleurs éclatantes, présents dans les deux pièces latérales à chacune des extrémités de la grande salle, laissent passer la lumière. L’enfer sur Terre est un paradis perdu…à reconquérir.

Catherine ANGELINI

SMAK: Joris Van de Moortel, Hell on Earth, in search of PUR, NUR and
FUR, jusqu’au 2 mars 2025, Jan Hoetplein 1, Gand, Belgique

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