Inaugurées le 18 octobre 2025, deux nouvelles œuvres viennent d’intégrer les collections du Musée d’Art Contemporain en Plein Air du Sart Tilman. Installées dans l’écrin naturel du Sart-Tilman, non loin l’une de l’autre, ces deux nouvelles acquisitions abordent deux thématiques d’actualité : les missions de l’Université et la réception contemporaine de l’héritage colonial.
L’œuvre d’Eva Evrard le Banc du Large, s’est constituée dans un dialogue avec l’Association des Professeurs de l’Université de Liège qui en est le mécène (ou le commanditaire). L’enjeu principal transmis à l’artiste étant de représenter ou de symboliser par le biais d’une œuvre les trois missions de l’Université : la recherche, l’enseignement et le service à la communauté. Eva Evrard avait déjà posé un regard sur le cadre universitaire liégeois lors de son exposition personnelle « Fig. » au MACPA (1) en 2024. De premières recherches dans la bibliothèque de la Faculté des Sciences avaient porté la curiosité de l’artiste sur des ensembles de dessins scientifiques dont elle s’empare pour développer un vocabulaire visuel, une iconographie nouvelle reliant sciences, savoir et art. Le Banc du large se compose également de motifs scientifiques, enchâssés entre des plaques de verres qui donnent le rythme de ce nouveau mobilier urbain, composé, également, de bois et d’acier (2). Eva Evrard utilise une série de symboles liés à la connaissance, le banc lui-même se place dans la tradition du lieu de l’étude et de la transmission. Installé ici dans l’espace public, il s’offre à la ‘communauté’ et devient lieu de réflexion, de rêverie, d’écoute ou de débat. Au milieu du mobilier, l’artiste choisit d’y intégrer un arbre comme le « symbole de la connaissance en perpétuelle croissance » (3). Bien que le message de l’œuvre puisse paraître intemporel, la demande de l’Association des Professeurs de l’Université de mettre en valeur les missions de celle-ci résonne avec une actualité brûlante, en Belgique autant qu’à l’internationale. Les soutiens publics des institutions universitaires sont menacés par de nouvelles réformes arbitraires, puisque sans dialogue avec celles-ci. En avril 2025, une carte blanche est notamment écrite par des enseignants et chercheurs des universités de la Fédération Wallonie-Bruxelles pour « sauver la recherche, l’enseignement et la prospérité » (4). Le Banc du large inaugure, peut-être, une forme de résistance, en symbolisant dans l’espace public l’essence même des institutions universitaires.

Si l’œuvre d’Eva Evrard épouse discrètement le paysage, Benoît Jacquemin se positionne avec un langage plastique brut et monumental pour embrasser un sujet d’actualité qui démange la Belgique depuis plusieurs décennies : son héritage colonial et sa réception contemporaine. L’œuvre Vitrine Coloniale voit le jour dans le cadre de la Biennale d’art Contemporain WAW !, 2024, curatée par le Centre Culturel Wolubilis. Installée durant la Biennale, dans un parc proche du Musée Royale de l’Afrique Centrale de Tervuren, Benoît Jacquemin décide de questionner un des outils de propagande durant l’époque coloniale de la Belgique : la vitrine muséale. L’histoire coloniale belge s’entremêle avec l’histoire familiale de l’artiste, un « héritage teinté de tabous et de mystères » (5) . Le motif de la vitrine – dispositif de propagande et de domination culturelle et idéologique – est augmentée par l’artiste pour se transformer en une œuvre constituée d’acier, vouée à se charger de rouille, comme un vestige contemporain encombrant, laissé à l’abandon, révélant « une violence silencieuse » (6). En dessous de la vitrine, Benoît Jacquemin reproduit volontairement un socle, base des sculptures placées dans l’espace public, faisant écho au déboulonnage des statues qui traverse notre époque contemporaine (7). Imposante par sa taille autant que par l’histoire qu’elle charrie, Vitrine Coloniale se mue en un mausolée qui ne reflète plus que lui-même, une sculpture qui se transforme par le passage du temps en un rebut monumental, une grosse poussière que l’Etat belge tente de mettre sous le tapis depuis trop longtemps. Son emplacement sur le site du Sart-Tilman n’est d’ailleurs pas laissé au hasard, l’œuvre de Benoît Jacquemin jouxte Le Pâtre (1956) d’Idel Ianchelevici qui avait lui-même essayé de détourner une commande de l’Etat belge pour glorifier la colonie, en proposant une représentation du travail traditionnel congolais. Vitrine Coloniale, située aujourd’hui sur le site de l’Université de Liège (8), engage un dialogue avec les chercheur.euse.s actuel.le.s et futur.e.s. Elle s’impose au cœur de l’enseignement et de la transmission de notre histoire et de sa réception critique.
Sophie Delhasse – Novembre 2025
Il ne s’agit de la première collaboration entre le MACPA et l’artiste, en 2020, trois œuvres de la série « Presse » d’Eva Evrard intègrent déjà les collections du MACPA et sont placées sur les murs de l’ancien restaurant universitaire.
2 Le banc est réalisé grâce à la collaboration de plusieurs entreprises liégeoises avec lesquelles l’artistes a collaborés pour donner à forme et surtout matière à sa création.
3 Thibaut Wauthion, Eva Evrard et l’art public à Liège et à La Louvière, consulté en ligne : https://artcontent.be/2025/10/31/eva-evrard-et-lart-public-a-liege-et-a-la-louviere/
4 « Un avenir sombre pour les universités francophones », Le Soir, 28/04/2025 consulté en ligne : https://www.lesoir.be/671749/article/2025-04-28/un-avenir-sombre-pour-les-universites-francophones
5 Thibaut Wauthion, Benoit Jacquemin interroge « l’encombrante histoire coloniale belge », consulté en ligne : https://artcontent.be/2025/10/19/benoit-jacquemin-interroge-lencombrante-histoire-coloniale-belge/
6 Idem
7 Le geste de ‘déboulonnage de statues’ n’est pas neuf puisqu’il apparaît lors des mouvements révolutionnaires au 18e siècle. Cependant, en 2020 un mouvement nouveau de ‘déboulonnage’ de statues lié aux figures coloniales et esclavagistes voit le jour. Ces sujets sont notamment développés dans l’ouvrage de Julie Bawin, Professeur d’histoire de l’art contemporain à l’Université de Liège et directrice du MACPA « Art public et controverses », 2024, CNRS Editions.
8 L’œuvre intègre les collections du MACPA grâce au soutien de la Fondation Marie-Louise Jacques.
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