
Belle année pour Prouvost (1978) qui est à l’honneur à Roubaix et à Marseille (Mucem et Vieille Charité). Cette artiste pluridisciplinaire fit, entre autres, des études à St-Luc Tournai, représenta la France à la biennale de Venise en 2019, est en ce moment très prolifique et très impliquée dans notre monde.
Dans les locaux de l’ancienne manufacture de Roubaix, Prouvost investit une salle d’expo et lex-salle des machines avec une installation comportant une tapisserie monumentale titrée « Ring, sing and drink for trespassing », prolongée par une sculpture végétale, complétée par des vidéos.
Une tapisserie issue d’un programme informatique
L’ampleur de cette réalisation vous plonge d’emblée au beau milieu d’un univers baroque. De chaque côté, en symétrie, deux tapisseries narratives de 15 mètres, offertes à l’imaginaire de chacun pour qu’il y brode ses propres histoires. L’une contemplant l’autre, enserrant le visiteur entre deux mondes en miroir. Une sorte de cyclorama parcourant espace et temps… Vous voici face à une brocante rabelaisienne, une planète juste après la bourrasque d’une tempête, un lieu voué à l’accumulation des déchets de toutes sortes, un salmigondis d’ustensiles, d’endroits, de matériaux en méli-mélo territorial en télescopage chronologique.
Selon le point de vue adopté, l’ensemble est à ressentir de manière antagoniste. Par un bout, voici l’infini interstellaire générateur qui forma une planète, la nôtre, sur laquelle tout pullule et aboutit à une telle pollution que la nature en crève. Par l’autre bout, l’épuisement des ressources et une surconsommation tentaculaire, anarchique, contagieuse contraint l’humain à découvrir d’autres planètes afin d’y migrer ; peut-être avant de tout reprendre à zéro.
L’imagerie est un brassage visuellement cacophonique d’éléments culturels hétéroclites, d’objets usuels familiers, de phrases à connotations parfois surréalistes (la plupart du temps en anglais ; plus rarement en français) et dans lesquelles la notion de futur est récurrente. Ces aphorismes sont reproduits soit comme imprimés sur des cartels, soit manuscrits à la craie blanche, autrement dit à vocation durable ou à précarité d’effacement soudain. En duel et dualité permanents, le précaire (tels un œuf sur le plat ou une assiettée de framboises nappée de sucre impalpable) et le durable (tels une toile abstraite de Mondrian ou un dessin rupestre) cohabitent. Une façon de nous suggérer combien le culturel appartient à la nécessité patrimoniale et l’usuel au quotidien matérialiste.
Tout cela est figuré de manière réaliste. L’ensemble semble s’apparenter à une perception photographique, nimbée d’une lumière particulière accentuée par la laine même du matériau de base. Lumière apparentée à celle du rayonnement de tous ces écrans balisant aujourd’hui notre journalier terrestre. Elle suscite une atmosphère quelque peu énigmatique, proche d’une sorte de quatrième dimension.
Cette perception n’excluant d’ailleurs pas l’intention manifeste de Prouvost de nous interroger aussi sur sa démarche esthétique : une œuvre d’art, selon le postulat de Magritte (« ceci n’est pas une pipe »), devrait être considérée comme une représentation du réel alors qu’ici, elle se métamorphose finalement en réel puisqu’elle commence ou finit par des éléments bruts tels que de véritables branches et troncs, des fragments authentiques de journaux régionaux. L’ambigüité étant volontairement latente puisqu’il y au moins une branche dont le fruit s’avère être… un rétroviseur.
Des courtes vidéos hétéroclites
Deux vidéos complètent cette installation monumentale. La première est une sorte de vision dérisoire d’un type d’info qui n’est pas rare sur les réseaux sociaux. Elle met en scène avec un réalisme plat une jeune femme qui a trouvé un signe divin dans le résultat visible d’un rêve et se persuade de pouvoir en convaincre les plus hautes autorités ecclésiastiques. Elle préfigurerait peut-être bien un témoignage récent paru en librairie. Celui de Marie-Pierre Planchon, voix météo sur France Inter. Titré « Pour l’amour du ciel », ce livre relate entre autres les relations de son autrice avec l’invisible.
La seconde, davantage intrigante, onirique, sensuelle, se passe comme un songe à travers un tunnel en compagnie d’un grand-père invisible. C’est une quête polychrome érotique à travers un montage complexe de fleurs aux secrétions voluptueuses, aux coloris fascinants, aux relations tactiles ressenties par un spectateur emporté à travers sensations supposées, oniriques, perceptibles.
Michel Voiturier
Dans le cadre de « Fiesta » à la Manufacture, 29 avenue Lucien Lagache à Roubaix jusqu’au 17 août 2025.Infos :
03.20.20.98.92 ou www.lamanufacture-roubaix.com
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