L’âge atomique

Yayoi Kusama, The Anatomic Explosion, 1968

Les artistes à l’épreuve de l’histoire

MAM, Musée d’Art Moderne de Paris, 11 Avenue du Président Wilson 75116 Paris

Jusqu’au 9 février 2025

Cet automne, le MAM présente une exposition autour de l’ère atomique et de son rapport avec l’art depuis la fin du XIXe siècle à aujourd’hui et ce au travers de perceptions des scientifiques, des artistes et avec la présentation de nombreux documents d’archive.

L’atome a commencé par fasciner les scientifiques Pierre et Marie Curie, Henri Becquerel bien sûr ainsi que des artistes comme Kandinsky, ou la suédoise Hilma af Klint qui y consacre en 1917 une série des dessins, dans des visions mystico-scientifiques, ou Marcel Duchamp et son concept d’inframince.

 Loïe Fuller et sa danse serpentine, en 1905 dans sa robe fluorescente évoquera l’immatérialité, qu’elle dansera sous les yeux de Marie et Pierre Curie. Pierre Huyghe revisitera ce travail en 2014.

Henri Becquerel, en 1903, recherchera les nouvelles propriétés de la matière atomique, des documents qui sont présentés dans les vitrines. Sigmar Polke reprendra ses expérimentations en photographies dans Uranium, en 1992.

En 1940, les recherches militaires faites par l’Allemagne hitlérienne poussent les scientifiques Albert Einstein et Robert Oppenheimer à avertir les responsables politiques américains et à les faire réagir rapidement. Cela donnera le projet Manhattan d’où naîtra la bombe A et la première crise de conscience qui arrive avec l’utilisation de la bombe à Hiroshima et Nagasaki en 1945. Une série de dessins très émouvants, réalisés par des survivants d’Hiroshima et de Nagasaki illustrant leurs vécus sont présentés dans l’exposition. Le film Oppenheimer réalisé par Christopher Nolan en 2023, illustre parfaitement cette première crise de conscience de l’utilisation des recherches scientifiques par les militaires et l’éjection de ceux-ci de leur propre programme.

Asger Jorn, le droit de l’aigle, 1952

Dès ce moment jusqu’à nos jours, des sentiments de fascination ou de répulsion vis-à-vis de l’atome, animeront le monde dont les artistes feront échos.

Bruce Conner dans son film Crossroads,1976 travaillera à partir des archives américaines qui filmèrent avec 500 caméras les essais atomiques à Bikini en 1946. Le film dure 35 minutes et nous fait passer de la fascination au mal être. Asger Jorn, Gianni Dova, Enrico Baj, Francis Bacon, Salvador Dalí, Lucio Fontana, , Asger Jorn, illustreront aussi cette peur et ce dégoût. Mais l’atome restera aussi très populaire, et l’image du champignon atomique une icône moderniste, nourrit par la propagande américaine, gardant une vision bienveillante et positive dans le monde occidentale. Walt Disney publie notre ami l’atome, les bombes sexuelles défilent dans les magazines, André et Jean Polak font l’Atomium à Bruxelles, l’on fait des gâteaux en forme de champignon nucléaire ou on le peint dans un beau cadre doré….

L’accès à la bombe atomique par l’Union Soviétique et la guerre froide, apportèrent une fois encore la remise à l’avant-scène de la possibilité d’une guerre et d’une destruction totale. La dissuasion par la course à l’armement des Etats-Unis et l’Union Soviétique, seront bientôt rejointes par de nombreux pays dont la France, représentée dans l’exposition par ses essais nucléaires en Polynésie et ce, sous toutes les présidences depuis Charles de Gaule. Cette situation créant une paranoïa généralisée dans le monde et la création de bunkers et d’abris sous les maisons. En 1962, la tension atteint un paroxysme avec l’affaire de missiles soviétiques à Cuba et un climat de contestation se fera beaucoup plus virulent et questionnant ; Le film doc/fiction de Peter Watkins The war game, 1966, décrit sous une forme réaliste, à partir de données recueillies, les comportements sociaux et les positions politiciennes, suite d’un chaos engendré pour une attaque nucléaire. Commandé par la BBC il sera néanmoins considéré comme trop effrayant et sera censuré.

Dans les années soixante-dix, avec la première crise pétrolière, un autre débat s’ouvre autour de l’utilisation du nucléaire civil et non militaire. Cette approche a de nouveau ses partisans et ses détracteurs qui se confrontent encore aujourd’hui ! Cette vision de l’atome fournissant de l’énergie à la société civile, considéré comme propre et moins coûteuse, apportera aussi son lot de questionnements. Les accidents de Tchernobyl en 1986 en Ukraine et de Fukushima au Japon en 2013, provoqueront deux nouvelles ondes de choc. Les mouvements pacifistes, écologistes, antinucléaires ou contre-cultures, féministes développeront une critique politique de la production nucléaire.

On s’interroge sur la fiabilité et la durabilité de vie des centrales nucléaires et aussi sur le stockage des déchets nucléaires et sur les problèmes que cela engendrerait.

Cette problématique pourtant essentielle, a été oubliée dans l’exposition, c’est dommage parce qu’il soulève des problèmes récurrents et à long terme. Une artiste belge, Cécile Massart, y a pourtant consacré une grande partie de sa création artistique et de sa vie, mais elle fut oubliée comme les déchets enfouis un peu partout dans les sous-sols de la planète.

Les dessins des survivants

C’est cette ambiguïté de la dépendance à l’atome dans laquelle nous sommes nés, dans laquelle nous vivons et dans laquelle nous mourons, que met en lumière cette exposition. Consciemment ou inconsciemment, positivement ou négativement, les artistes de tous bords et dans toutes périodes ont, depuis les premières découvertes, été interpellés par le phénomène atomique.  Certains ont traité le sujet de face, avec positivisme, voire fascination ou avec dégoût et colère. Certains ont travaillé sur l’instabilité, la rayonnement, l’atomisation physique, d’autres sur l’incertitude, l’instabilité, la destruction, la survivance de l’humanité, les problèmes écologiques.

Cette exposition permet des découvrir tous ces aspects, des productions rarement vues d’artistes importants et aussi de découvrir beaucoup d’artistes inconnus ou peu connus dans ce rapport à cette problèmatique.


Michel Briscola, Paris décembre 2024

L’âge atomique

Les artistes à l’épreuve de l’histoire

MAM, Musée d’Art Moderne de Paris

Jusqu’au 9 février 2025

Artistes : Kenneth Adam, Horst Ademeit, Ant Farm, Francis Bacon, Enrico Baj, Robert Barry, Hélène de Beauvoir, Charles Bittinger, Erik Boulatov, Chris Burden, Alberto Burri, Miriam Cahn, Valdis Celms, Julian Charrière, Bruce Conner, Gregory Corso, Salvador Dali, Gianni Dova, Marcel Duchamp, Friedrich Dürrenmatt, Jaan Elken, Bonita Ely, Lucio Fontana, Loïe Fuller, General Idea, Guy Debord, Vidya Gastaldon, Dominique Gonzalez-Foerster, Hans Grundig, Brion Gysin, Richard Hamilton, Isao Hashimoto, Raoul Hausmann, Shigeo Hayashi, Inārs Helmūts, Justino Herrera, Hessie, « Hibakusha » (les survivants de la bombe atomique), Hi-Red Center, Gary Hill, Jessie Homer French, Pierre Huyghe, Tatsuo Ikeda, Isidore Isou, Motoharu Jōnouchi, Asger Jorn, Jugnet + Clairet, Vassily Kandinsky, Kikuji Kawada, On Kawara, György Kemény, Yves Klein, Hilma af Klint, Susanne Kriemann, Barbara Kruger, Tetsumi Kudo, Yayoi Kusama, Wifredo Lam, Mikhaïl Larionov, Jean-Jacques Lebel, Le Corbusier, Francesco Lo Savio, Piero Manzoni, Yoshito Matsushige, Roberto Matta, Herbert Matter, Gustav Metzger, Boris Mikhaïlov, László Moholy-Nagy, Henry Moore, Minoru Nakahara, Natsuyuki Nakanishi, Jürgen Nefzger, Barnett Newman, Natacha Nisic, Isamu Noguchi, Yoko Ono, Kiyoji Otsuji, Wolfgang Paalen, Eduardo Paolozzi, Claude Parent, Gaetano Pesce, Raymond Pettibon, Otto Piene, Giuseppe Pinot Gallizio, Sigmar Polke, André et Jean Polak, Jackson Pollock, Richard Pousette-Dart, Grant Powers, Margaret Raspé, Nathalie Rebholz, Stefan Rinck, Thomas Schütte, Jim Shaw, Vladimir Shevchenko, Kazuo Shiraga, Mimi Smith, Amy Sillman, Sisters Of Survival, Nancy Spero, Viatcheslav Syssoev, Atsuko Tanaka, Koichi Tateishi, Diana Thater, Shōmei Tōmatsu, Hiromi Tsuchida, Luc Tuymans, Peter Watkins, Ray Wisniewski, Wols, Yōsuke Yamahata, Vladimir Yankilevsky, Alexander Zhitomirsky, etc. 

Francesco Lo Salvio,Spazio Luce, 1960

Les œuvres rassemblées pour l’exposition proviennent de nombreuses collections publiques et privées : The Art Institute of Chicago, Hiroshima Peace Memorial Museum, Hungarian National Gallery (Budapest), Maison Européenne de la Photographie (Paris), Museo Nacional Centro de Arte Reina Sofía (Madrid), The Museum of Modern Art (New York), Musée National d’art moderne – Centre Pompidou (Paris), The National Museum of Modern Art (Tokyo), Tate (Londres), Zimmerli Art Museum at Rutgers University (New York), Fondazione Piero Manzoni (Milan), Peggy Guggenheim Collection (Venise), Pinault Collection (Paris), Ringier Collection (Suisse), etc. 

Sigmar Polke, Uranium, 1992

Elles s’accompagnent d’archives de photographies et de documents audiovisuels historiques venant de : l’Académie des sciences, la Bibliothèque Kandinsky, la Bibliothèque nationale de France, l’Institut Curie, le Muséum national d’Histoire naturelle, The Niels Bohr Archive (Copenhague), The New York Public Library, etc. 

Commissaires : 
Julia Garimorth, conservatrice en chef au Musée d’Art Moderne de Paris
Maria Stavrinaki, professeure en histoire de l’art contemporain, Université de Lausanne 

Conseillère scientifique :
Kyveli Mavrokordopoulou, enseignante-chercheuse en histoire de l’art et humanités environnementales, Vrije Universiteit Amsterdam 

Soyez le premier à commenter

Poster un Commentaire

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée.


*


Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.