Agé de 80 ans, Germano Celant vient de décéder. Atteint du diabète, il n’a pu résister au drame du coronavirus.
Le monde de l’art pert une de ses grandes figures. On retiendra de lui qu’il fut notamment l’instigateur du mouvement de l’Arte Povera et de quelques grandes expos à succès comme le fut celle organisée en 2019 en hommage à Jannis Kounellis à la fondation Prada à Venise.
Pour ma part, je retiendrai surtout celle qu’il organisa au Centre Pompidou en 1981 et qui avait comme ambition de donner une image de l’identité italienne depuis 1959. Plus que l’expo qui reprenait les grands noms des artistes de l’Arte Povera, c’est surtout le catalogue de l’expo qui m’avait impressionné et continue de me subjuguer. Une brique monumentale d’informations. Une chronologie détaillée sur tous les événements marquants de ces années charnières. Cet ouvrage concernait l’art bien sûr, avec toutes les émergences artistiques de l’époque, mais aussi les événements majeurs liés à cette époque: la politique, les attentats, l’économie, le marché, un brassage à 360° qui parlait de l’esprit du temps et des énergies qui circulaient. Une bible d’informations que je continue à investiguer avec un égal plaisir de temps à autre et qui me conforte dans l’idée que tout est lié et fait sens.
Tout avait commencé pour lui fin des années soixante, les “glorieuses”, qui ont vu émerger très vite en Italie et en Europe un changement de cap important dans nos vies. Ce qu’on a appelé la société de consommation fît naître un nouveau monde calqué sur le rêve américain. En contre réaction, pour faire front à ce rouleau compresseur, des mouvements alternatifs, théatraux, littéraires, artistiques voyaient le jour pratiquement au même moment. L’Arte Povera était née.
Nous ne croiserons plus la dégaine de Celant arpenter les grands meeting points de l’art contemporain, Biennales , Documenta,… Avec son allure de vieux rock star has been, sa chemise noire, sa crinière blanche, Celant était un incontournable des grands rendez vous internationaux de l’art. Je me souviens l’avoir croisé, pour la dernière fois, l’année dernière dans les couloirs de la Biennale de Venise. A l’inverse de Harald Szeemann, son côté condottiere n’engageait pas l’dée d’une conversation. Ma première rencontre date de 1997, il était alors le Directeur artistique dans la cité des Doges. C’était l’année de l’incursion corsaire du BBB dans les Giardini à Venise. Je me rappelle que cela le fit rires aux éclats le jour de l’inauguration officielle quand quelques “animalisti” déchaînés avaient interrompu la conférence en s’accaparant avec force des micros pour crier au scandale d’une manipulation génétique perpétrée par deux artistes. (NDLR Charles François et Doctor Hugo Heyrman)
Hormis quelques bribes d’interviews glanées ci et là, j’ai le regret de n’avoir jamais pu avoir l’occasion de réaliser un entretien “réel”. L’improvisation, qui me caractérise, ne fonctionnait pas avec lui. J’en apprenais plus sur lui, par la bande, c’est à dire en interviewant des artistes. Gilberto Zorio me confirma son rôle fondamental de rassembleur d’énergies plus que de théoricien d’un mouvement.
J’ai appris dernièrement, en pianotant sur internet, qu’il vouait pour le tapis vert un amour inconditionnel. Dans une interview accordée à Antonio Gnoli, il prétendait que ce jeu lui avait appris énormément sur la vie. “ Si j’ai compris quelque chose de la vie, je le dois au billard; à un environnement fait de ruse, d’habileté, d’intelligence. Géométrie et invention. J’aurais pu devenir l’un de ces champions « . A la question de l’origine de l’invention du terme Arte Povera, Celant rétorque en toute humilité que l’idée ne venait pas de lui mais était dans l’air: « Je n’invente rien. » Arte Povera » est une expression si large qu’elle ne veut rien dire. Elle ne définit pas un langage pictural, mais une attitude. La possibilité d’utiliser tout ce que vous avez dans la nature et dans le monde animal. Il n’y a pas une définition iconographique de l’Arte Povera « . Le journaliste lui rappelle la relation de ce terme avec le “théâtre pauvre” de Jerzy Grotowski, il répond avec franchise. « Grotowski baptise, mais l’idée circule également indépendamment parmi les représentants du Living Theatre. Je me souviens que Julian Beck et Judith Malina parlaient de théâtre médiocre. Ils vivaient à Gênes non loin de la Via Prè, où il y avait beaucoup de prostitution, de contrebande et de jeu. » .
On pourra dire que Celant a eu l’énorme avantage d’être présent au bon endroit et au bon moment. Il a eu l’opportunité et surtout l’énergie intellectuelle de jouer le rôle de rassembleur pour toute une pépinière d’artistes talentueux qu’il a aidé à faire connaître sur l’échiquier international: Boetti, Luciano Fabro, Mario Merz, Gilberto Zorio, Giulio Paolini, Anselmo, Pascali, Pistoletto, Piero Gilardi,… En 1967 je pense qu’il fut le premier à inaugurer la figure curatoriale de commissaire en présentant des artistes de l’Arte Povera à la galerie La Bertasca à Gênes. Curieusement, la sauce n’a jamais pris avec l’oeuvre immense de Francesco Lo Savio, mort en 63 à Marseille. Il a tenté obstinément de défendre son travail et de le faire reconnaître pour son rôle de précurseur. Le marché n’aime pas les suicidés de l’art …
Pour en revenir au marché, Celant a eu la géniale intuition d’inventer l’idée de la marque “Arte Povera”. Quelque part, il a anticipé l’esprit de communication marketing qui fonctionne aujourd’hui dans le milieu de l’art. Il a très vite compris la mécanique de fonctionnement d’un système. Sa campagne de promotion a fonctionné à la vitesse de l’éclair. En quelques mois il a su imposer, à travers quelques expos collectives bien ficelées son groupe d’artistes. Des incursions fructueuses qui on fait naître un intérêt certain de la part des collectionneurs et professionnels de l’art de l’époque. Gian Enzo Sperone, le célèbre galeriste turinois, fut un des premiers à le soutenir et à comprendre l’intérêt de créer des ponts entre l’Amérique et l’Italie… En 1967, Giancarlo Politi dans sa revue Flash Art N°5 lui dédia une page pour publiciser son mouvement. En 1969, Harald Szeemann consacre internationalement les artistes de l’Arte Povera en les incluant dans son expo “When attitudes become form” avec Boetti, Calzolari, Kounellis, Merz, Pascali, Pistoletto, Prini e Zorio. En bon camarade de classe, on comprend mieux le renvoi d’ascenseur quelques années plus tard avec l’hommage rendu par Celant à Szeemann à Venise…
Lino Polegato
30 avril 2020
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