Riche thème que le feu. Non seulement sa maîtrise par les humains engendra de nouvelles façons de vivre depuis 400 000 ans mais suscita une créativité polymorphe tant dans le quotidien domestique que dans tous les arts possibles. Un échantillon de cette production s’est installé dans les locaux art déco de la Fondation Boghossian, ce qui ne va pas sans une certaine disparité des œuvres. Les unes expriment le feu ; les autres ont été confectionnées par son intermédiaire.
Hall et salons
L’accueil se fait avec « Red Fire of Live »,rougeoyante installation spectaculaire en porcelaine de Jiana Kim (1972), flammèches figées en suspension entre plusieurs étages au centre de la Villa Empain.Inévitables, les objets consumés par Arman (1928-2005) passent de l’état d’utilitaires à celui de sculpture au-delà d’un statut de vestiges, en quelque sorte une action oxymore qui pratique la destruction en vue d’une création. L’artiste pousse d’ailleurs le procédé jusqu’au bout lorsqu’il reproduit en bronze une œuvre qui imite un objet réel brûlé ayant servi de modèle.
Une vidéo, présentée à la manière d’une toile en format ‘paysage’, diffuse « Etna flowI » d’Hervé Charles (1965), image incandescente émaillée de pépites d’éclats lumineux quasi dorés visualisant une combustion apprivoisée puisqu’on peut impunément s’en approcher sans risque de s’y roussir. Avec « Etna », la lave éteinte, noirâtre se présente façon tondo en densité noir et blanc pour évoquer une présence en l’absence de la matière même. « Aurora », toile de Michiko Van de Velde (1994), exprime davantage la luminosité fomentée par un ciel uniquement pictural qui aurait pu être abstrait si ce n’est son évocation des nuages.
Claudio Parmiggiani (1943) souligne l’absence en donnant à voir la trace d’objets en silhouette de fumée, comme s’il devenait possible de concrétiser quelque chose qui se retrouve simplement dans notre souvenance. Camille Dufour, (1991) au contraire, aligne de véritables gravures similaires, suspendues telles des cônes sur un fil. De l’une à l’autre, une part dessinée se dérobe, avalée par l’oubli, effacée par les lumières des jours.
Joris van de Moortel (1983) enflamme sa parodie d’un triptyque de Roger de le Pasture et noue quelque connivence avec la Bible via purgatoire et enfer, Lucifer inclus, le tout selon une pratique picturale expressionniste, mâtinée de fantastique. Fabrice Samyn (1981) pratique l’allusion-illusion d’une part avec son miroir de barbier dont le tain disparu porte le stigmate d’un soleil dévoreur, d’autre part avec un reflet de bougie censée représenter Dieu, en quelque sorte le paradoxe de visualiser l’invisible. Ce que montre Stéphane Sautour (1968) est, d’une certaine façon, assez similaire au moyen de graphite : saisir un moment du bigbang de l’univers. Chez Cornelia Parker (1956), plus réaliste, ce sont des traces de météorites volontairement provoquées sur des cartes géographiques.
Salle d’escrime
Pas de meilleure référence au feu que l’allumette. Celles que Raymond Hains (1926-2005).a négligemment abandonnées dans une boîte géante paraissent en attente de quelque pyromane obsessionnel. Deux dessins de Marcel Broodthaers (1924-1976) semblent railler flamme et fumée ainsi qu’une bouilloire vide étiquetée AVOIR qui ne sert à rien et qu’un casier contenant cendres et scories qui témoigneraient bien dérisoirement du destin funèbre de la sidérurgie locale. Dérision encore que les bombonnes de butane peintes par Wim Delvoye (1965) à la manière des céramiques bleues des cuisines flamandes d’autrefois attestant leur ironique anachronisme. Le triptyque rouge vif de Bernard Aubertin (1934 – 2021) mise sur une géométrie de designer, inverse du désordre qui résulte d’un brasier. Le même inverse sans doute que le bleu onirique du feu de camp de l’« Enfance » du Borain Remy Hans (1994).
Salles de bains et chambres
Gargouilles ou grotesques alimentent les céramiques de Moulinard (1998). Aux antipodes de la préciosité miniature de Moriyama (1991) et que le minimalisme d’Alberola (1953) qui se contente d’allumer un néon formulant le mot ‘espérance’ que relativise le drapeau étasunien en train de flamber de Ziadé (1968). Une tapisserie de Elen Braga (1984) brasse une colonne de fumée rendue plus dense à cause de la matière textile de l’œuvre. Mais c’est sur un tapis artisanal afghan que Rials (1981) envoie une escadrille d’engins volants transporteurs d’explosifs.
Van Tran (1979) associe le rougeoiement des dégâts causés par l’épandage massif de défoliant par l’armée étasunienne et la blancheur d’un nuage en porcelaine piqueté de fragments volcaniques. Xie Lei (1983 )et Bill Viola (1951-2024) convoquent un humain à se faire dévorer par les flammes : l’un dans un flamboiement de jaunes, l’autre assis sur une chaise pendant qu’une vidéo l’enveloppe sans l’atteindre vraiment. Buggiani (1933) transforme une photo en peinture et l’eau en brasier et Cicero (1979) passe de l’embrasement d’un âtre à celui d’une villa.
Quatre photos noir et blanc liées à des évènements politiques des U.S.A. ont été collées par Ortmeyer (1980) sur des boites d’allumettes en lien allusif au fait qu’un geste est susceptible parfois de mettre le feu aux poudres. À mettre en relation avec les images d’Ali Cherri (1976), évocatrices des éléments en vue d’une auto-immolation à portée politique. Quant à Boghossian (1949), Otto Piene (1928-2014), Pier Manzoni (1933-1963)et Jef Verheyen (1932-1984), ils élaborent avec des techniques différentes des traces de fumée signalant la disparitiond’objets ayant brûlé.
Enfin, Kounellis (1936-2017) dépose une installation composée de quelques pierres façon autel au-dessus desquelles s’élancent des traces de suie menant à une palette de peintre, sorte de témoignage d’un sacrifice mystérieux. Traces encore chez Masini (1989) et subjectivité des acryliques de Tchunn-Mo (1961) qui se réfère aux terres brûlées en vue de refertilisation, ce que produisent de façon naturelle les forêts estivalement embrasées de Gfeller (1966). C’est Yves Klein (1928-1962) qui conclut avec un carton portant des cicatrices du passage d’un chalumeau au lieu d’un pinceau.
Figements dans le verre, compressés dans la matière, visibles et inaccessibles, plus de deux cents livres forment une bibliothèque du désir ou de la mémoire sous la volonté de Pascal Convert (1957) de les avoir rangés dans des étagères à illusoire portée de mains. Le feu ici a protégé. Mais il a exclu. Enormité d’une culture offerte et interdite. En guise de conclusion, la maison céramique Asya Marakulina (1988) ramène à l’évocation, récurrente en ces temps de conflits armés, de ruines qui ne laissent à leurs habitants délogés qu’une désolation constituée de débris, moisissures, fissures, empreintes putréfiées… Et peut-être est-ce le bon moment pour aller relire « Feu ») de Serge Rezvani.
Michel Voiturier
« Fire » à la Fondation Boghossian, Villa Empain, avenue Franklin Roosevelt 67 à Bruxelles jusqu’au 1 mars 2026. Infos : +32 262 752 30 ou www.villaempain.com
Catalogue : Louma Salamé, Fabrice Biasino, David Vlieger, Catherine Streel, Bruxelles, Fondation Boghossian, 2025, 150 p. (trilingue : français, néerlandais, anglais)
(Cet article a été rédigé sans recours à l’IA)
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