
Que Laurent Impeduglia soit un enfant de la décennie faste – cette époque empâtée de facilités, où l’Occident, repu de lui-même, s’abandonnait, insouciant, aux jouissances du consumérisme – sautera immédiatement aux yeux du spectateur de Finders Keepers. Nourris à la mamelle de l’industrie, élevés sous les néons des supermarchés et des oracles cathodiques de la réclame, il faut mentionner que les descendants des années 80 possèdent, au fond, une âme torturée, oscillant entre un désir de liberté éperdu et l’asservissement volontaire à un confort aliénant.
Ainsi, ces êtres schizoïdes (dont je fais partie), éclos dans l’incubateur de ces années fric, traînent leurs névroses comme un fantôme son boulet. Victimes, pour certains, non d’une misère matérielle, mais d’une dérive existentielle, ils somatisent au sein d’une civilisation qui, ayant troqué ses dieux contre des logos et son Verbe contre des slogans, précipita sa propre chute dans une orgie de spectacle, de simulacres et de plastique.

Partant de ce constat, l’œuvre de Laurent Impeduglia pourrait être une sorte de catharsis hyper-codifiée répondant à ce type de sociologie. C’est là un code subtil et fin où s’entrelacent, dans une sarabande savamment orchestrée, les signes d’un alphabet pictural à la fois protéiforme et rigoureusement systématique. Un mélange de souvenirs, d’obsessions et de symbolique affective décliné en un néo-pop art dérivé de l’underground.
Pour affiner cette réflexion, il est utile de rappeler que l’imaginaire de ceux qui ont aujourd’hui franchi le seuil des quarante ans fut intégralement construit par les officines de la publicité et les arrière-boutiques du marketing. C’est bien simple, enfants, on ne leur a pas raconté des histoires : on leur a vendu des objets.
Les dessins animés qu’ils visionnaient, notamment ces fameux Maîtres de l’Univers — allègrement cités par Impeduglia — n’étaient en réalité que des prétextes narratifs, des figures creuses plaquées sur une volonté unique : écouler des figurines. La série animée venait après, comme une publicité géante, dans le but de vendre un produit. Ainsi, devant le petit écran qui les éduquait, les enfants-quarantenaires subissaient, sans le savoir, un endoctrinement marchand en continu.
Dans Finders Keepers, Laurent Impeduglia s’échine à faire exister ces icônes mythiques (mais dérisoires) de la consommation parmi des références bien plus fines, comme pour laver ce traumatisme. C’est un langage mystérieux, irréductible à un sens unique, que propose par horizontalité le peintre. Un brillant alphabet pictural, mi-métaphysique, mi-puéril, rédigé au sein d’une cosmogonie délirante et très structurée, comme si Jérôme Bosch avait mangé une Super Nintendo.
C’est donc au sein de compositions parfaites, répondant aux logiques de rangées ou de symétrie orthogonale, que son écriture picturale ordonnancée se développe par l’usage modulable de symboles, hyper connus ou totalement cryptiques, mais toujours répétitifs. Rigoureux dans sa pratique, Laurent Impeduglia propose ainsi depuis des décennies une transcription plastique du laboratoire débridé de micro-édition et de fanzine dans lequel il officiait. C’est d’ailleurs en toute logique et continuité que ce terreau underground, nourri d’irrévérence graphique, irrigue non seulement l’ensemble de son œuvre, mais surtout les peintures et dessins de Finders Keepers. Il est question, dans les pièces présentées, de perspectives isométriques qui figent le temps, d’oiseaux, de fleurs, de crânes, de chauves-souris géantes … Des représentations réutilisées jusqu’à plus soif dans un dispositif pop.
Conscients du paradoxe fécond que cette démarche génère, les héritiers légitimes du pop art ont bien compris que la répétition efface le sens, use l’image jusqu’à l’insensibilité. Souvent perçu comme une célébration clinquante de la société de consommation, ce mouvement a pourtant bien longtemps caché, sous ses oripeaux flash, une dimension profondément macabre (deux dimensions parfaitement représentées au sein des deux lieux d’exposition, d’ailleurs). De là, en bon fils, Laurent Impeduglia s’applique à masquer, derrière les airs colorés et ludiques de ses peintures, une lassitude profonde teintée d’ironie. Une vision morne d’un monde peuplé de figures grotesques, de fétiches, d’objets morts ou de marchandises.
Plus qu’un peintre, Impeduglia se voit dès lors comme un conteur d’apocalypse moqueuse, où l’on rit jaune en contemplant une parodie lugubre de notre modernité.

Tandis que, dans La Comète, les toiles, bariolées jusqu’à l’étourdissement, composent une impressionnante galerie saturée, évoquant quelque supermarché célébrant en fanfare la fête des Morts brésilienne, l’Espace 251 Nord, lui, s’absorbe dans la gravité hiératique de vastes fusains, sombres et statiques. Certains d’entre eux dressent les murailles impénétrables d’un château kafkaïen — temple anthracite cachant un Absolu que nul ne saura jamais atteindre, lui-même figuré par un diamant bleu d’une intensité volontaire. Et dans cette profusion de motifs paradoxaux, ressassés jusqu’à l’incantation, se dissimule la conscience acérée de la vacuité des choses. Ainsi, Impeduglia peint et dessine l’absurdité de notre temps comme on regarde une étrange fourmilière — avec minutie, ferveur, et une joie parfois morbide, mais toujours emplie de tendresse.
Car au-delà des références cabalistiques pointues, des pots d’apothicaire figurés, d’un anticléricalisme presque naïf et des symboles alchimiques, c’est toujours Skeletor — cette figure en toc du Mal enfantin — qui fait office, dans les deux sites, de vanité aux accents pop. Et c’est par une victoire de l’insouciance sur la gravité que l’enfance et, surtout, l’intime triomphent toujours, au final, chez l’artiste. Un artiste dont les intentions sont fidèlement protégées par la garde creuse de cet empire figé, celle-là même qui composait certainement son coffre à jouets d’antan.
Jean-Marc Reichart
Une exposition présentée en deux volets :
Volet dessins — Espace 251 Nord
Exposition : du 19/04 au 28/06/2025
Volet peintures — La Comète
Exposition : du 25/04 au 28/06/2025
Ouvert les vendredis et samedis, de 14h à 18h
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