L’avènement du rock au milieu des années soixante fut un événement parmi d’autres qui annonçaient des changements de mentalité, des comportements consuméristes différents, des pratiques artistiques turbulentes à travers une [contre]culture internationale liée à la jeunesse.
Au fil des salles, au fil des œuvres, le visiteur aborde à des rives diverses. Il sera confronté à des ramifications insoupçonnées entre pratiques artistiques et emprunts à des créations de tous bords : musique, littérature, cinéma, folklore, marketing… Jeff Ryan qui affirme : «Le rock, c’est la transgression », résume sa perception de l’art contemporain en cette formule : « rock par l’esprit, pop par le style et conceptuel en théorie ». Tout cela dans un brassage qui entremêle des éléments de culture populaire traditionnelle et des recherches artistiques liées à des volontés avant-gardistes. Ce que Denis Gielen synthétise en divisant l’ère du rock en trois volets : « le folk avec son étrangeté vernaculaire, le glam avec sa théâtralité extravagante, le punk avec sa rage rebelle ».
D’entrée, c’est la piste à suivre par l’intermédiaire de deux lithos d’Alberola faisant allusion aux commencements avec Elvis Presley et Bob Dylan, œuvres confrontées à une actualité récente par le biais d’une photo de Quentin de Briey au moment du décès de David Bowie. On y adjoindra une couverture d’album de Dennis Tyfus se référant à la ‘beat generation’. Et ces pochettes de disques au motif répétitif obsédant dues à Patrick Guns en référence à une chanson du groupe The Cure inspirée par L’Etranger de Camus, chanson intitulée <Killing an Arab, controversée à l’époque mais redevenue malgré tout actuelle dans le climat sociopolitique ambiant.
Interférences entre les pratiques
Ça et là, des reliquats de performances valent ce qu’on peut en imaginer puisque l’essence même de ce genre d’exercice est d’être éphémère et voué au seul présent de leur exécution. Mais parfois, ce qui en subsiste constitue une installation dont la présence porte en elle suffisamment d’éléments visuels ou sonores pour continuer à avoir un intérêt réel. C’est le cas pour Joris Van de Moortel et Embrassing the Simplicty of a Pop Song . Tony Oursler, lui, combine images et enregistrements sonores de sept musiciens de sorte que leurs prestations se répondent de façon aléatoire comme dans certaines compositions de John Cage.
Les collages de Christian Marclay forment des partitions à partir de documents divers agrémentés de phrases musicales. Posées sur des lutrins, ils semblent attendre des interprètes pour que le concert débute. Jacques André accumule des achats culturels de manière à agencer une sorte de présentoir monumental tandis qu’Allen Ruppersberg intègre des objets et documents patiemment collectés de manière à former des ensembles cohérents censés être la mémoire collective de la musique afro-américaine.
La musique, elle, est audible à travers la vidéo du trio Alen, Gordon et Monk. Ils jouent des solos durant le temps qu’est filmée en gros plan durant la combustion d’une cigarette coincée dans le sillet de tête d’une guitare. Cet instrument se retrouve dans une des réalisations de Gauthier Leroy par sa forme générale, par les accessoires qui sont intégrés. La démarche de l’artiste consiste d’abord à réunir des objets hétéroclites en vue d’une rencontre insolite, surréaliste même.
La succession de cendriers peinte par Charlotte Beaudry montre à la fois une des addictions les plus courantes et la succession temporelle selon la quantité de mégots qui s’y trouvent, ceci dans un réalisme minutieux. Damien De Lepeleire pratique la copie comme les apprentis artistes d’autrefois, mais s’arrange pour éviter le plagiat en déformant volontairement l’image originelle.
La Harley Davidson customisée par Johan Muyle impressionne ne serait-ce que par sa prestance mécanique. Le sculpteur en fait un emblème du « Now Futur », arborant une devise en symbiose avec la société telle qu’elle est devenue : « Un monde où avoir c’est être » alors que le réservoir se voit percé par trois flèches meurtrières, venues sans doute de ces ‘Sioux in Paradise’ porteurs de casque sur lequel s’étalent d’orgueilleuse plumes. Pas loin, git un Indien d’Oppenheim, rigide sous des peaux tannées, éclairé en rouge. De quoi fantasmer sur l’épopée de la conquête de l’Ouest et le racisme.
Contestation et dérision
Les dessins de Robert Crumb, si caractéristiques avec leur accumulation de traits et leur déluge de mots, imposent un univers décalé, sans mesure. Ceux de Raymond Pettibon, plus classiques, n’hésitent pas à traiter de sujets plutôt sensibles. Les dessins de Daniel Johnston ont des affinités avec l’art brut. Alors que Jacques Lizène se livre à la plus totale dérision en associant guitare et pioche, vidéo de chanson langoureuse accompagnée de prise de sons issus d’un tas d’ordures. Un ensemble qui remet en question une fois encore les idées reçues concernant l’art, la beauté, la bienséance, le talent.
Les photos de Gilles Elie Cohen appartiennent d’abord au reportage. Elles attestent de la présence de bandes en banlieue parisienne selon les modèles des villes étasuniennes. Lamelas, de son côté, s’efforce de mettre en avant une certaine forme de théâtralisation des comportements, ce que Dieter Meier pousse jusqu’à la réalité en incarnant des personnages aux identités différentes, confrontés chaque fois à des périodes lointaines de leur prétendue existence. De quoi se lancer dans quelque récit épique de la conquête de l’Ouest. Corita Kent, la bonne sœur du pop, montre un pan moins connu du foisonnement créatif de l’époque.
L’expo n’épuise pas le sujet. Loin s’en faut. C’est impossible. Elle met l’accent sur des créations, tisse des liens entre des groupes, des personnes, des traditions, des novations. Le catalogue, remarquablement illustré, intelligemment commenté, permet d’aller plus loin à propos des cultures alternatives qui ont déferlé jusqu’à la fin des golden sixties et dont une part non négligeable a été récupérée par le système mercantile incapable de s’empêcher de faire de l’argent même avec ce qui le vilipende. Mais les mouvements successifs qui ont défilé sur la scène culturelle mondiale ont prouvé que, dès que le conformisme refait surface, il existe des courants qui reprennent la contestation et, depuis le dadaïsme de 1916, ont poursuivi l’objectif d’une créativité sans frein.
Michel Voiturier
Exposition “Rebel Rebel“ au MAC’s, 82 rue Sainte Louise à Hornu jusqu’au 22 janvier 2017. Infos : +32 (0)65 61 38 91 ou www.mac-s.be
Catalogue: Denis Gielen, Jeff Ryan et collab., „Rebel Rebel art + rock“, Bruxelles/Hornu, FondsMercator/MAC’s, 2016, 302 p.
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