Dans le cadre élégant du parc qui entoure le château d’Enghien, troisième édition d’une intégration d’œuvres contemporaines. Des découvertes caractéristiques de notre époque qui s’intègrent intelligemment dans l’architecture et le paysage.
Sous l’appellation générique de « De terre et de ciel », l’expo met en valeur le côté végétal et minéral de la planète et le rapproche de la légèreté de l’air et de l’espace.
Terrien et végéterrien
Lucie Lanzini (1986) balise un parcours à travers l’espace du parc. Ses poteaux repères sont plantés et déterminent une sorte de territoire imaginaire. Colorés, ils sont visibles de loin, intrigants, insolites. Examinés de près, ils s’avèrent moins rudimentaires car ils portent les traces de motifs architecturaux empruntés ici et là, liaison du présent et du passé.
Marcel Berlanger (1965) réinvente un pan de nature. C’est un tronc réaliste, enraciné. Mais son réalisme est seulement apparence. C’est un leurre. C’est un lieu dans lequel pénétrer pour observer l’environnement par le trou derrière lequel poser son regard. C’est un affût pour épier, se confondre avec le paysage. C’est une œuvre non pas à regarder mais pour mieux voir.
Comme sorti de la futaie, un panneau double de Stijn Cole (1979) montre un fragment de nature. Le motif en est figuratif ; ses couleurs ne le sont pas. Il traduit la touffeur d’une végétation foisonnante, envahissante. Il l’extrait de son réel pour en faire une vision à contempler, ce que le promeneur ordinaire pratique peu, attentif qu’il est à respirer dans un espace qui n’est pas urbain.
Les bruts blocs de pierre qu’il a dispersés sur des tabourets de bois dans la chapelle de Rhétorique témoignent de leur origine arrachée au sol. Le lisse de leur surface plane du dessus indique le travail de l’homme, un passage maîtrisé de la rugosité naturelle dure à la volonté humaine de transformer la matière selon son désir, ou son besoin d’aller vers le symbole.
Claude Cattelain (1972) semble s’inscrire dans une démarche minimaliste. Son armature de charpente plus ou moins imaginaire se présente comme un alliage de force (celle qu’on accorde à la massivité et à la robustesse des poutres) et de fragilité car des éléments ont un aspect plus incertain, plus vulnérable. Elle évite la profusion de Tadashi Kawamata ou d’Arne Quinze. Elle mise peu sur le déséquilibre d’éléments prêts à s’effondrer. Dans l’ambiguïté de sa présence presque en creux, elle donne l’impression d’être du domaine de l’inutile car on ne perçoit guère ce qui pourrait l’habiller. La vidéo en boucle se souvient, presque à l’inverse, du mythe de Sisyphe puisque l’artiste ne cesse de s’enfoncer sans jamais disparaître dans un sable mouvant mais non anthropophage.
Edith Dekyndt (1960) filme en plan fixe rapproché des terres en train de se consumer. Cette nature-là est celle que nous ne cessons de polluer. La vie qu’elle semble attester tient davantage de la décomposition que du joyeux printemps des floraisons. Tout se passe dans une temporalité éternellement au présent, sorte de lent processus de métamorphose, voire de disparition programmée.
Maria Friberg (1966) a installé des jeunes encapuchonnés dans un coin où de la mousse envahit des monticules qu’on suppose de roches. Dans cette luxuriance végétale étalée surgissent, tels des champignons, ces jeunes humains anonymes qui y auraient poussé. Contraste de deux formes de vie dans une ambiance d’étrangeté. Sa vidéo transforme des pièces de vêtement façon méduses en suspension, sirènes chorégraphes, fugaces silhouettes d’oniriques plongeurs en apnée permanente.
Aérien et céleste
Florian Kiniques (1988) interpelle. Ce qu’il procure est un étonnement, une pirouette ironique. La lunette d’observation astronomique qu’il a plantée au milieu de l’étang est la concrétisation même de l’inutile, de l’absurde. Comme il y a des non-anniversaires chez Lewis Caroll, il y a donc ici une non-lunette dans le présent de cette exposition. Simplicité aussi chez Caroline Le Méhauté qui réussit une spectaculaire lévitation minérale au-dessus du grand canal, dotant la pesanteur de cette pierre d’une aisance de nébulosité.
Jacqueline Mesmaeker (1929) a installé, dans la pièce de la tour où aboutit la 78e marche de l’escalier de la chapelle, un ensemble magique et fascinant. Des tissus suspendus, agités par un brassage de l’air ambiant, servent d’écrans mouvants à la projection de vols d’oiseaux. Mouvements doubles du film et de ses supports, éphémère agité et impalpable, entre la massivité classique de deux bustes figés pour l’éternité de Louis XIV et XVI.
Au centre du pavillon chinois, Lucile Bertrand (1960) suspend une boule de plumes immaculées. La forme sphérique, fermée sur elle-même évoque une présence compacte tandis que la légèreté du matériau utilisé, sa fragilité contredit l’apparence. Comme cette sculpture pend au centre d’un cube délimité par ses arêtes, un autre paradoxe surgit : celui d’un enfermement au sein d’un volume demeuré ouvert. En somme, une métaphore de l’apparence susceptible de leurrer à propos d’une réalité à découvrir.
Dans le pavillon aux toiles, une autre fragilité se présente. Celle des chants d’oiseaux. On sait combien certains compositeurs, Olivier Messiaen par exemple, se sont attachés à transcrire leur musique. La plasticienne propose ici des partitions inédites de chants d’oiseaux à disposition des visiteurs qui ont la possibilité de tenter de les interpréter en solo, duo ou chœur.
Pierre Liebaert (1990) est basé dans la chapelle castrale. Ses photographies mêlent une poésie nocturne et une réalité sanglante. Un triptyque se dresse, ainsi qu’un retable d’autrefois, en trois panneaux. Au centre, une lune présentée comme une hostie ; à gauche un suaire immaculé ou une housse à mobilier sous des étoiles ; à droite un personnage décalé, isolé dans une étendue nocturne. Un texte de Rilke, dissimulé dans l’épaisseur obscure d’une matière picturale, en suggère l’interprétation puisque l’écrivain y parle de veille et de sommeil, de lumière et d’ombre, de présence et d’absence, de voix et de silence. Ajoutons-y de part et d’autre deux clichés allusifs à des rites l’un sanglant, l’autre d’enlèvement.
Adrien Lucca (1983) a disposé dans les écuries de gros ballons colorés. Il y a également préparé un éclairage particulier qui en modifie l’atmosphère. Il réagit lorsque le visiteur prend la peine de pousser les ballons. Leur mouvement déclenche alors une lumière transformant la perception de ce lieu grâce à un jeu raffiné de colorations. Les mountaincuters (1990)investissent le souterrain. Ce passage toujours associé à quelque secret est propice à leurs objets fantasques, hybrides, indéfinissables parce que sortis de l’imaginaire et des mutations matiéristes du verre.
Fort courte en sa durée, cette manifestation s’inscrit admirablement dans la tendance actuelle à promouvoir un art contemporain si décrié naguère, cependant si lié à notre monde complexe et tourmenté, avide de rêve et de créativité. Dommage qu’une signalisation trop parcimonieuse ne facilite pas un parcours que l’étendue du lieu et la dispersion de certaines œuvres rendent parfois malaisé.
Michel Voiturier
« Miroirs 3. De terre et de ciel » au Parc communal, avenue Elisabeth à Enghien, tous les jours de 14 à 17 h jusqu’au 20 septembre 2020. Infos : 02/397.10.20 ou https://expo-miroirs-parc-enghien.be/
Bonjour, merci pour votre article 🙂 Juste pour info: dans mon installation « Yellow zone/yellow-free zone » avec les deux ballons qui changent de couleur dans les écuries, le mouvement ne déclenche rien de particulier. L’espace est divisé en deux par deux lumières blanches, physiquement différentes, mais visuellement identiques. L’une des deux lumières blanches fait apparaître jaune les ballons, l’autre les fait apparaître rouge-orange. C’est la composition physique de ces lumières qui produit cet expérience, rien ne se déclenche, elles restent statiques.
😉