Cécile Miguel, l’irrégulière des langages poétiques

Livres et expos

Trois publications récentes, une expo magistrale rétrospective au musée de La Boverie à Liège et une expo de dessins au Musée du Petit Format à Nismes célèbrent avec brio l’œuvre picturale de l’artiste belge Cécile Miguel.

Une telle actualité ne devrait pas passer sous le radar de tout qui s’intéresse aux arts plastiques et à la littérature poétique. Pour la plupart des visiteurs et des lecteurs il s’agira au minimum d’une redécouverte, plus probablement d’une découverte tant cette poète du verbe et de l’image reste très injustement trop peu connue et reconnue. Il est vrai qu’elle n’appartient à aucun cercle, cénacle, mouvement, courant ou autre tiroir des classements habituels. Si ce n’est celui de la poésie à la fois incarnée et imaginaire, singulière et libre comme nulle autre. Indépendante et d’une foncière originalité créatrice. La voilà donc isolée, occupant une place non prévue dans les organigrammes ! Elle est à la marge au vu des classificateurs les moins académiques et comme Chavée elle ne marche jamais en file indienne. En un mot, elle perturbe les esprits, même les moins cartésiens. Et voilà qui nous réjouit grandement. Du vrai hors-piste des plus aventureux, audacieux, pour un parcours personnel.

Œuvrer à la reconnaissance

On peut s’interroger sur cette frilosité professionnelle et officielle à reconnaître l’œuvre d’une telle artiste alors qu’ailleurs, en Suisse par exemple avec les Wölfli, Aloïse Corbaz et autres Souter on l’aurait largement célébrée, tout comme en France avec les Dubuffet et autres dont Gaston Chaissac, tous en collection prestigieuse notamment au LaM de Villeneuve d’Ascq. Il est vrai que les définitions, même celle de l’art brut lui conviennent peu et que tant au Trinkhall à Liège qu’au musée Art et marges de Bruxelles, on ne se situe pas dans le même registre. L’art de Cécile Miguel est sans étiquette, sinon celle d’un art contemporain. En organisant cette exposition, le musée de La Boverie remplit donc parfaitement sa mission de soutien, voire de révélation, vis-à-vis des artistes de notre cru. Et particulièrement en ce cas puisqu’il s’agit de faire resurgir une œuvre quasiment oubliée, sinon reléguée. La dernière grande exposition remonte en effet à 1984, au musée des Beaux-Arts de Mons sous la férule d’un ami des poètes Achille Béchet. Plus récemment le musée Marthe-Donas de Ittre et la galerie des Collines à Vaucelles, ont consacré de petites exposions à l’artiste née à Gilly en 1921, décédée à Auvelais en 2001.

Pensée labyrinthique

L’exposition de la Boverie, orchestrée par un duo, le poète Yves Namur, actuel secrétaire perpétuel de l’Académie royale de langue et de littérature française de Belgique, et la poétesse Béatrice Libert, redonne du lustre à une œuvre méritant d’être distinguée et reconsidérée et analysée comme le font les auteurs des diverses publications. En une centaine de peintures et dessins, l’’exposition se décline chronologiquement dans une succession de séries bien caractéristiques appartenant néanmoins toutes à une démarche unitaire par le degré de poésie visuelle que l’auteur leur insuffle. Il semble évident que le lien le plus fort relève de l’inconscient, de l’imaginaire, de l’onirique qui agissent tels des agitateurs permanents de la création. Cette poétique plasticienne est innervée par les contingences et épreuves vécues autant que par une pensée labyrinthique qui tente de débroussailler les arcanes d’un être hypersensible. Emois profonds, troubles interrogatifs, rêves nébuleux, fantasques ou insolubles, se mélangent à des bonheurs autant qu’à des traumas redoutés et éprouvés. Une œuvre qui se construit sans plan, sans projet, en totale liberté, en provenance des tréfonds aussi fantaisistes qu’interrogatifs et angoissés, issus des mystères de l’humain. Par les aspects féminins et les obsessions récurrentes, par les implications psychologiques et traumatisantes, par quelques accents esthétiques des traits répétitifs, arachnéens et denses, cette œuvre n’est pas sans rappeler celle d’une grande dame de l’art du 20e siècle qui n’est autre que Louise Bourgeois. Leurs univers sont distincts mais leur puissance créatrice concentrée sur des motifs répétés et parfois hallucinés, favorisent ce rapprochement.

Les auteurs

Même les privilégiés qui ont eu le bonheur de la fréquenter laissent peu de témoignages sur la vie de Cécile Miguel. Originaire du Hainaut, elle épousa un écrivain et poète de la même région, André Miguel. En 1947, ils s’installent à Nice puis dans plusieurs lieux du Sud de la France, vivant assez chichement se consacrant, lui à la littérature poétique, elle au dessin et à la peinture. Leur bonheur fut de rencontrer les Picasso et Miro avec qui Cécile expose à Lucerne.  Françoise Gilot fut son amie. Dans le sillage d’un séjour à Saint-Paul de Vence, Jacques Prévert lui dédie un poème dont on peut voir l’original dans l’exposition. Plusieurs expositions suivront avant leur retour en Belgique en 1964 où elle se coupe de toute relation avec le milieu artistique et bourgeois se consacrant uniquement à ses créations visuelles et scripturales.

Ses écrits dont un choix vient d’être consigné dans une anthologie (1) réalisée par Yves Namur, offrent un autre aspect de son talent multiforme mais ancré de tous côtés dans la part d’ombre et de mystère, de secrets de l’être humain. « Cécile Miguel, » nous dit Yves Namur, « une écriture foisonnante qu’aucun tiroir ne peut vraiment classer :  surréaliste, « fantastiqueuse », touchant des doigts l’absurde, rêveuse, calligraphe… tout cela est juste et insuffisant. (…) Ne serait-elle pas, tout compte fait, l’une des dernières figures du surréalisme belge ? ».

Dans un petit livre (2), Béatrice Libert Se consacre essentiellement et par le détail, à l’analyse d’un tableau de Cécile Miguel, le n°14 de la série, l’une des plus puissantes, L’âge d’or, là je dors, une huile sur toile de 1970. Un tableau dont elle « est fortement impressionnée, fascinée même. Il me réjouit, me surprend, me déroute, m’étonne au point que je me demande s’il ne m’entraîne pas en plein rêve ». Et elle se dit « prise de vertige », elle parle d’expressionnisme et de surréalisme et d’une artiste coloriste. Elle analyse la composition en diagonales (une dynamique), indique que « la perspective relève d’un choix moral », fouille sujets, formes et motifs, parle de « l’époque d’après mai 68 », de psychédélisme, fait appel à des poètes et écrivains de René Char à Jean-Pierre Verheggen (ami d’André Miguel), et reconnaît que l’on en est « réduit à des hypothèses, d’autant plus que la peintre est restée muette sur son œuvre ».

Le catalogue de l’exposition (3), outre une préface et un texte du commissaire Yves Namur qui parle « d’un tableau tachiste » et « d’une éruption volcanique », reprend de multiples textes et témoignages de ceux qui ont, soit connu l’artiste, soit approché l’œuvre. Achille Béchet évoque une œuvre « hypnotique » et une « difficile préhension du monde par l’artiste », parle à propos de la période des masques, de quelque chose de « mystérieux, insolites, troublants, fascinants », aussi de « quête d’absolu », de « la grande question existentielle » ainsi que « d’intuition fondamentale ». Suivent entre de nombreuses photos d’œuvres, des écrits de Marcel Daloze, d’André Verdet, d’Hélène Cingria, de Jean-Claude Tréfois, de Carl Norac, de Béatrice Libert qui évoque l’art thérapie, de Christine Béchet, de Jean-Pierre Verheggen qui cite les « bouches » de l’artiste et Raymond Queneau, de José Hubert qui a exposé les œuvres, de Pierre Schroven et d’Eric Brogniet, de Nadine Monfils.

A découvrir, l’univers d’une vraie irrégulière de l’art contemporain.

Claude Lorent

  • Cécile Miguel, Où jamais personne n’arrive, (Anthologie). Frontispice de Wolgang Osterheld. Choix et préface d’Yves Namur.  182 p. Ed. Collection Ha!, Le Taillis Pré.
  • Béatrice Libert, Cécile Miguel et L’âge d’or, là je dors. Regard sur un tableau. Ill., 84 p. Ed. Le Taillis Pré.
  • Cécile Miguel au creux des apparences, sous la direction d’Yves Namur, multiples auteurs, 62 p., ill. coul. Ed. Liège Musées/Expos.

Expositions

° Cécile Miguel au creux des apparences, La Boverie, Parc de La Boverie, 4020 Liège. Jusqu’au 18 août. www.laboverie.com

° Cécile Miguel, Du côté de l’ombre méditante, Musée du Petit Format d’Art contemporain, 6 rue Bassidaine, 5670 Nismes (Viroinval). Jusqu’au 13 septembre. mpf@museedupetitformat.be

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