Poursuivant le fil rouge initié en début d’année avec « Fata Morgana », l’Ikob organise « Glorious Bodies », une exposition laissant dialoguer Sophie Langohr et Jacques Charlier. Deux artistes liégeois, deux générations, deux regards autour d’un même questionnement : celui du pouvoir de l’image mythique et mystique portée aux nues par la société.
Glorious Body, corps glorieux, expression qui en elle seule symbolise la transformation du corps du Christ au moment de sa résurrection. Son enveloppe corporelle n’est plus soumise aux contraintes physiques et acquiert de nouvelles propriétés. C’est aussi, dans un sens plus général, la gloire offerte aux corps, celle qui, de tout temps, l’a mis en évidence dans toute sa splendeur. Corps saints et mystiques d’abord, remplacés aujourd’hui par les corps sculptés, métamorphosés, « photoshopés » des égéries de la mode. Ils ne subissent plus la loi du temps, deviennent éternels et continuent d’imprimer par leur forte présence et leur pouvoir l’imaginaire de la société actuelle. Autour de cette réflexion sur la puissance de l’image, mystique, sainte ou liée à la mode, se croisent les deux artistes liégeois.
Images saintes et égéries actuelles se rencontrent dans l’œuvre de Sophie Langohr, qui revisite les icônes du passé et leur représentation pour mieux questionner l’impact du flot d’images auquel nous sommes soumis continuellement. Ses séries « Camées » ou « Fleurs, oiseaux et fantaisies » constituaient déjà un premier pas dans l’interrogation de l’idéal que la société peut imposer. Cette démarche est poussée plus loin avec « New Faces ». L’artiste y confronte des représentations saint-sulpiciennes de la Vierge Marie, puisées dans les réserves muséales liégeoises, aux égéries actuelles, celles que la mode et la société nous imposent. Par son travail presque chirurgical, Sophie Langohr crée un jeu de ressemblance frappant où dialoguent l’image mariale, fortement présente dans l’histoire de l’art, et l’image presque parfaite des icônes de la mode. Les représentations s’y confondent pour mieux questionner l’impact d’une société toujours plus exigeante quant à l’image que nous devons renvoyer.
Toujours dans cette recherche critique, Sophie Langohr propose un nouveau travail pour l’exposition: « Glorious Bodies ». La série est en quelque sorte le pendant masculin des « New Faces ». Inversion du sujet, en passant du visage féminin à l’attitude masculine, inversion de la technique aussi. Car cette série ne présente plus les visages retravaillés des icônes de la mode pour les transfigurer en Vierge Marie mais des saints, shootés à la manière des photographies publicitaires. Ce sont sur les apôtres, sculptés par Jérémie Geisselbrunn, et conservés à l’Eglise Saint Nicolas d’Eupen, que l’artiste a jeté son dévolu. Sous le regard aiguisé de l’artiste, ces apôtres se transforment en figures de mode, telles que nous les contemplons dans les pages de magazine. Saint Paul devient Gaspard Ulliel, Saint Pierre adopte la même attitude que Philip Crangi. Par la prise de vue et la lumière, ils deviennent de véritables icônes de la mode. Les attitudes se font ténébreuses, les regards perçants. Et c’est en osant les comparer aux mannequins actuels que le jeu de la mode auquel nous sommes tous confrontés se dévoile à nouveau.
Cette préoccupation du pouvoir de l’image trouve également une résonnance particulière dans les œuvres de Jacques Charlier. Si nous pensons naturellement à Sainte Rita, qui se mêle pour l’occasion aux Vierges mariales de tradition saint-sulpicienne, elle n’est pas la seule sur laquelle les regards se posent. Evidemment elle a une place toute spécifique dans l’exposition, à la fois par l’importance qu’elle revêt dans les collections du musée eupenois et par la symbolique évidente qu’elle véhicule. Sainte patronne des causes désespérées, elle est devenue sous l’impulsion de Charlier l’intercesseur des artistes. « Sainte Rita. Priez pour l’art », une protection en quelque sorte contre un marché qui impose sa loi à l’art, comme les images sur papier glacé nous dictent les apparences. Avec Sainte Rita, Jeanne d’Arc, Léda, Mélusine sont autant de figures féminines qui ont imprégné l’histoire et l’imaginaire collectif et le fascinent encore aujourd’hui par la complexité de leurs caractères. L’artiste revisite tour à tour leur mythe et l’image idéale de ces héroïnes sur lesquelles le temps est censé n’avoir aucune emprise et qui pourtant, par les montages et le langage de Charlier, reflètent un certain désenchantement du temps qui passe.
Tout comme pour Sophie Langohr, l’exposition donne également à apprécier un nouveau travail de Jacques Charlier. Une nouvelle image héroïque vient en effet s’ajouter à ces figures féminines mythiques: Morgane. Magicienne capable à la fois de guérir et de tuer, la fée Morgane a envahi tout un pan de la littérature et continue encore d’être l’objet de multiples représentations à l’heure actuelle, tant au cinéma qu’en arts plastiques. Ici, c’est l’image d’une fée guerrière, de retour de bataille, posant dans le décor mythique d’Avalon que l’artiste met en scène.
« Fata Morgana », c’est aussi le nom donné dans la légende au mirage projeté par la fée. Plus généralement, c’est également le terme qui évoque le phénomène optique provoqué par les mirages. A leur manière, Sophie Langohr et Jacques Charlier nous présentent également des mirages au sein de l’exposition. Des mirages provoqués par le pouvoir que développent ces images mythiques et mystiques à la fois en dehors du temps et pourtant bien ancrées dans notre société actuelle.
Céline Eloy
20/04 > 13.07.2014
Ikob
Rotenberg 12 B
4700 Eupen, Belgien
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Tel. & Fax: +32 (0)87 56 01 10
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