ATHENES Michael Rakowitz : redonner au présent les traces de son passé

Manifestation polyculturelle, « Allspice » permet à Rakowitz de rassembler et créer de quoi exposer une bonne part de ce qui, en constituant le passé d’un peuple, nourrit son destin. D’où une exposition foisonnante qui est à la fois actuelle et historique, esthétique et politique, ethnologique et géo-économique, sociologique et polémologique, mythologique et même gastronomique.

Artiste irako-étasunien, Michael Rakowitz (New York, 1973) a réuni des objets à valeur historique et ethnique aux côtés de ses propres réalisations artistiques. Il n’est pas un inconnu en Belgique car lors de la triennale Beaufort 21, il a créé une œuvre, « Naufragé », conçue à partir d’objets liés à un souvenir de guerre d’habitants de la Côte et déposée ensuite sur le sable de La Panne pour y être, au fil des années, colonisée par des animaux marins. Cela résume fort bien sa démarche récurrente de créer des sculptures à portée symbolique à partir d’un événement guerrier.

Dans un premier volet, à Athènes, il présente des choses devenues muséales et qui, en réalité, témoignent du passé colonial de nombre de nations dépouillées d’une partie de leur patrimoine. On sait combien aujourd’hui la problématique des restitutions est source d’argumentations et de tractations. D’autant qu’elle rejoint celle engendrée par les pilages perpétrés actuellement lors des multiples conflits armés entre états ou factions. C’est aussi une manière allusive d’évoquer, à travers la situation initiale de sa propre famille, combien les populations des pays du Moyen Orient, ont connu des exils et des diasporas quasi permanents.

Beaucoup des cartels informatifs des pièces exposées, réalisées à partir de choses parfois récoltées sur place après une attaque, un bombardement, un attentat, donnent à lire de courts témoignages de citoyens témoins directs. Quant au titre choisi pour cette exposition, « Allspice  (piment de la Jamaïque) », il ajoute une dimension particulière. Inspiré par cet ingrédient culinaire fréquent chez la mère de l’artiste, il inclut en effet, ce pan non négligeable de la culture d’un peuple qu’est sa gastronomie, certaines recettes étant affichées sur des piliers.

En introduction, une vidéo, « The Ballad of Special Ops Cody », propose emblématiquement la visite d’un musée par la figurine d’un militaire US des forces spéciales, celles-là même qui intervinrent en Irak. Le soldat propose aux statues assyriennes de se libérer pour retourner dans leur pays originel mais, paralysées, elles n’y parviennent pas.

De la destruction à la recréation

Pour représenter le rapport entre les œuvres d’art antiques et les dommages causés par batailles, vandalismes et autres exactions, Rakowitz a recours à du papier mâché, confectionné en général à partir d’éléments commerciaux jetables comme canettes, emballages de produits alimentaires, pages de journaux ou de magazines arabo-anglais ou en assyrien moderne. Une façon de suggérer que les œuvres créatives pérennes d’autrefois, bien que réalisées à partir de la pierre ou de la terre, sont devenues aussi fragilement vulnérables et éphémères que nos produits de consommation courante.

Par conséquent, pour l’artiste, pas question de reproduire à l’identique des œuvres ayant existé, ayant été bousillées lors de divers conflits armés, ayant été sujets de trafics, ayant même été franchement massacrées (notamment à Palmyre, Ninive, Hatra, Mossoul, Racca). Sa volonté est de les faire réapparaître sous une forme volontairement précaire. Il les présente d’ailleurs avec des failles, des traces visibles de détériorations. L’ensemble mène vers une réflexion à propos des conflits, de leurs résultats : migrations  de populations dispersées, traumatismes collectifs consécutifs.

Sa perception s’appuie en priorité sur l’histoire antique et actuelle d’une région spécifique, l’Irak. Ses portraits monumentaux, ces « revenants », appartiennent à un projet global qu’il a intitulé « L’ennemi invisible n’existe pas ». Ils prennent dès lors de la distance avec les personnages originaux disparus ou saccagés appartenant au patrimoine mondial de l’histoire de l’art. L’écart est inhérent aux matériaux utilisés qui soulignent le paradoxe de la réalité. Normalement, les emballages mercantiles dont est composée chaque créature sont censés mettre des produits périssables à l’abri momentané de toute détérioration. Ils remplacent ici la pérennité supposée de la pierre. Ils insinuent combien les vestiges conservés se sont transformés en marchandises pour trafiquants de tous bords, dépourvus de tout respect envers des références avec le sacré auquel se réfère chaque fresque.

Michel Voiturier

« Allspice » jusqu’au 31 octobre 2025 au musée Acropolis, 15 Dionysiou Areopagitou à Athènes. Infos : +30 210 900 0900 ou https://www.theacropolismuseum.gr/en/allspice-exhibition

    Visionner : La ballade des opérations spéciales Cody — MICHAEL RAKOWITZ

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