Aérons l’art (2) Enghien

Le motif de Camille Dufour s'efface peu à peu au fil des impressions. © Candice Althenais

Après la ville d’Ath, le parc du château de Seneffe, voici celui d’Enghien dont c’est la cinquième biennale.

Profitant du parc qui entoure le château d’Enghien, la biennale s’installe, assez fugacement, dans des bâtiments et sur le vaste espace végétal. C’est un parcours qui s’avère parfois celui du combattant : il faut par exemple s’aventurer dans un sombre tunnel souterrain envahi de chants d’oiseaux, se balader sur une étendue où un panneau aiderait à trouver son chemin, escalader les marches d’une tour…   Qu’importe ! Il y a des découvertes qui se méritent. Elles sont associées à une thématique bien particulière : le précieux, c’est-à-dire le rare et le fragile qui suscitent des perceptions propres à chacun.

En surface, dans les anciennes écuries, Jean-Baptiste Perret invite à visionner trois courtes vidéos. Il y capture des gestes simples effectués par des quidams. Leur communion avec la nature se dévoile sans effet spectaculaire car l’ordinaire reste ce que nous observons le moins. Cette focalisation sur le ténu, voire l’imperceptible se retrouve, également en vidéo dans la chapelle castrale. Une fois ses marches gravies, voici une autre vidéo où, sur la chair d’un bras humain, se trouve une goutte d’eau, une minuscule bulle échappée  on ne sait d’où. Rien ne bouge. Ou plutôt, en dépit de l’apparente immobilité de l’ensemble, elle frémit imperceptiblement au passage du sang dans la veine sur laquelle elle se situe. Le vivant surpris surprend à son tour. En bas de la tour, le tandem Brognon-Rollin a filmé le frémissement d’un fil d’araignée soumis au passage d’un courant d’air. 

Isabel Fredeus associe science et sculpture. Son projet se présente sous forme de statue en bois enfermée dans une enveloppe plastique avec du mycélium. Résultat : une œuvre ‘vivante’ puisque, peu à peu, des champignons colonisent le bois modifiant forme, couleur et matière. Sensibiliser à la notion de temps qui s’écoule en l’associant à la transformation des apparences est précisément ce qui intéresse également Camille Dufour.

Elle a suspendu des toiles qu’elle a auparavant dotées de la composition figurative d’un paysage agrémenté d’animaux. Végétaux et bêtes ont été choisis parce appartenant  à des espèces menacées.  Les toiles exposent le même dessin. Mais puisque l’artiste n’a encré sa matrice qu’une unique fois, au fil de chaque série de toiles imprimées, la netteté du motif en noir et blanc s’atténue jusqu’à finalement se réduire à des traces quasi imperceptibles. Concrétisation plastique d’une réalité écologique. 

Toujours dans cette optique d’attention portée à ce que notre exploitation économique de la planète menace de destruction, d’éradication, il faudra suivre Roman Moriceau en descendant dans un sombre tunnel souterrain de deux cents mètres. Là s’amorce une promenade particulière, hors temps, hors repères, à la fois mystérieuse, évocatrice, accompagnée d’une atmosphère fraiche et humide. Dans la quasi obscurité qui y règne, c’est l’ouïe qui est sollicitée car résonnent des chants d’oiseaux d’une étonnante diversité. Une façon très efficace de ressusciter ces volatiles désormais inexistants dans la nature rudoyée.

Le « Jardin portatif » finit par disparaître sous son propre foisonnement© Candice Althenais

Le promeneur retrouvera cette notion d’évolution, de transformation dans la durée avec l’installation de Lois Weinberger du ‘Jardin portatif’. Dans l’herbe, il a fait disposer de grands sacs utilisés pour des transports d’objets plus ou moins encombrants. Ceux-ci sont remplacés par de la terre. Au fil des semaines, apparaissent des plantes, des fleurs. Elles mêmes sont colonisées par des insectes. Cette croissance naturelle envahit les contenants de départ qui se fondent avec l’environnement au point de quasi disparaître.  

La couleur est intrinsèque à Marie Zolamian. Une grande fresque suspendue habite cette partie des anciennes écuries. Elle a des allures de peinture naïve, joyeuse, multicolore qui ne s’inquiète pas d’oublier d’être réaliste dans le moindre détail. C’est une île aux oiseaux digne d’un rêve éveillé. Une série de petits formats associe linceul et décès dans une atmosphère polychrome qui les écarte du morose. Les choix de cadrage sont divers, pas très classiques. Il y a là plus de rigidité. Celle des corps qui reposent pour l’éternité. Rien de dramatique. Une sorte de sérénité suspendue entre présence et absence accentuée par le singulier d’un travail, comme dans des œuvres primitives d’avant l’invention de la perspective.

Une sculpture miniature mystérieuse de Théo Massoulier © Candice Althenais

      Au diable vauvert du parc, près du pavillon des 7 étoiles, Laurianne Belin a disposé sur des arbres, comme s’il s’agissait de cartels explicatifs, des panneaux de bois sur lesquels ont été gravés des gestes ou des attitudes posés par des visiteurs familiers de l’endroit. Laissés aux intempéries de notre climat, ces traces de présences humaines disparaissent peu à peu puisqu’ici bas, même une création artistique procède du fugace. Par contre, c’est l’étonnement qui prévaut devant les pierres suspendues autour des piliers du pavillon par Simon Depperraz. Illusion que le massif et le dense échappent parfois, inexplicablement, à la pesanteur. Deux autres pavillons, moins monumentaux, abritent des assemblages élégants conçus par Théo Massoulier bricoleur joaillier et conteur fantasmagorique.

La thématique de cette biennale met l’accent sur la fragilité, la précarité de toute chose et de tout être. Existe aussi une volonté citoyenne de conserver du patrimoine. Ainsi, à côté du contemporain, la maison Jonathas expose le précieux retable d’un maître du XIVe siècle et dans l’église Saint-Nicolas, un autre retable du siècle suivant avoisine  les très impressionnantes et intrigantes gouttes géantes en verre de Laurence Dervaux ; suspendues, elles contiennent un liquide rouge qui, selon leur taille, correspond à la quantité de sang d’un enfant ou d’un adulte. Métonymies parfaites de notre condition et de notre existence.

Michel Voiturier

« Précieux », biennale d’art contemporain dans le parc communal d’Enghien et ses environs de 14 à 18 h jusqu’au 15 septembre. Entrée libre.

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