
Dans la polyphonie des expressions artistiques actuelles, coup d’œil sur quelques pratiques picturales d’artistes internationaux et belges engagés dans la voie de l’abstraction. Sous un vocable commun, une riche diversité qui affiche non seulement une bonne santé de la tendance mais aussi une inventivité attractive. Tour de piste non exhaustif.
Pour l’ouverture de cette nouvelle saison en galeries, quelques ténors de l’abstraction seront au rendez-vous en expositions solos. On pointera notamment la présence de Fiona Rae chez Nathalie Obadia à Paris, avec treize œuvres emblématiques réalisées au cours des trois dernières décennies, retraçant de la sorte les grandes étapes de l’évolution de sa pratique de 1997 à nos jours. Cette figure majeure de la scène artistique britannique de l’art contemporain se distingue par une peinture qui mixe la rigueur venue de l’abstraction construite avec des formulations lyriques dans des recherches chromatiques complexes.
A Knokke, deux galeries misent sur ce créneau abstrait. La galerie Edouard Simoens met à l’honneur l’artiste suisse Niele Toroni (1937), dont la pratique est restée constante depuis la fin des années 1960. Connu pour son approche méthodique, Toroni applique, en une seule couleur non mélangée par œuvre, des empreintes d’un pinceau plat n° 50, espacées à intervalles réguliers de 30 centimètres, sur une gamme de surfaces diverses : toile, papier, mur, plaque émaillée… La variété dans l’unité.
La galerie De Brock a choisi de célébrer l’artiste britannique Keith Coventry (1958) à travers ses peintures gastro-constructivistes pour le coup associées à l’enseigne commerciale bien connue Burger King. De cette manière, l’artiste poursuit en formulation abstraite et chromatique la relation qu’il établit entre une caractéristique de l’histoire de l’art en l’occurrence post-moderne et une activité socio-économique. Une manière de s’impliquer en son époque par une voie artistique analytique.
A Bruxelles, le galerie Greta Meert a opté pour la présentation d’une série peu connue de l’artiste américain vedette du minimalisme et de l’art conceptuel Sol LeWitt (1928-2007). À la fin des années 1990 et au début des années 2000, l’artiste a réalisé une série de pièces sur papier, particulièrement denses et chromatiquement plurielles, néanmoins construites, dont Tangled Bands, Not Straight Brushstrokes et Parallel / Irregular Curves (Bandes, courbes et coups de pinceau), qui mettent en valeur le passage de structures géométriques rigides à des formes plus organiques et fluides. Une avancée dans une forme picturale d’un lyrisme inhabituel.

Versus belgicain
C’est à Paris, en la galerie Richard qu’expose Marc Renard (Bruxelles, 1963) qui précis à propos de cette exposition : « J’explore dans cette exposition des univers picturaux multiples où se joue sans cesse la tension entre effacement et révélation. Entre techniques singulières et supports variés. Les œuvres font surgir ce qui semblait caché, tout en explorant les jeux de transparence et de matière ». L’univers que l’artiste déploie insiste sur une gestualité à la fois réfléchie et spontanée qui imprime un lyrisme puissant mais libre bien que fortement structuré. Un jeu d’équilibres dynamiques magnifié par les intensités chromatiques et la vigueur des tracés.
Retour en Belgique où la vedette du moment n’est autre que le liégeois Léon Wuidar (Liège, 1938) dont la reconnaissance internationale n’a fait que croître depuis que Rodolphe Janssens l’a présenté en un premier solo en sa galerie bruxelloise en 2016. Il récidive en cette rentrée dans un duo avec le peintre Brooklin A. Soumahoro (Paris, 1990 – Vit à Los Angeles). Un duo orchestré par Marjolaine Lévy qui nous dit que cette peinture « fusionne de manière transparente des motifs géométriques précis avec des champs de couleurs vibrants et énergiques, créant des surfaces superposées et transportantes qui agissent comme des seuils visuels ». Adepte de l’abstraction géométrique, Léon Wuidar jongle avec les droites et les courbes, avec les formes angulaires et circulaires, trompant les équilibres établis afin de structurer de nouvelles harmonies dans lesquelles les teintes, souvent apaisées, chantent de façon chorale. Il est, à n’en pas douter, l’un de nos meilleurs abstraits construits, toujours surprenant en ses compositions, non dénuées (de mots) d’humour et de références cachées.

Seconde présence de Léon Wuidar, muséale cette fois, organisée par Brenda Guesnet, se tient à l’IKOB à Eupen sous le titre Um Die Ecke (Au coin de la rue). Pour cette exposition qui réunit quarante tableaux peint entre 1965 et 2025, la commissaire note qu’au-delà de l’abstraction géométrique qui caractérise les œuvres, la « retenue formelle masque un penchant pour les blagues et les anecdotes, tandis que sa précision inébranlable libère un univers de possibilités esthétiques » et précise dès lors que « l’aspect ludique est au centre de l’exposition » présentée en cinq chapitres, comprenant également certains carnets de croquis. Vue de cette manière l’exposition rétrospective sera révélatrice d’une part rarement perçue dans le travail pictural dont on retient principalement l’ordonnance première.
Le troisième volet porte sur une publication à l’occasion d’une expo solo du photographe Jonathan Steelandt au Salon d’art à Bruxelles. Les éditions de La Pierre d’Alun annoncent la sortie de presse du livre Normographes (64 p.), photos de Jonathan Steelandt et texte de Léon Wuidar.
A Ixelles, la galerie The Palm Beach, sise dans une maison Art Déco qui vaut le détour, célèbre le retour aux cimaises en solo bruxellois d’Anne Boland (1957), particulièrement parcimonieuse de ses expositions. C’est donc à ne pas manquer ! Pour la circonstance elle propose une sélection d’une vingtaine de peintures récentes (2022-2025) dont quelques triptyques en petits formats. Chaque toile est composée, dans une dynamique toujours très alerte, de satellites picturaux indépendants, d’une joyeuse et heureuse diversité associant avec allégresse et joie de vivre par les couleurs, des moments picturaux, tantôt construits, tantôt lyriques, des élans graphiques, des taches solaires ou nocturnes, voire des éclats lumineux. Toutes les abstractions en liberté et réunies en une vraie peinture bonheur !
Trois autres expos bruxelloises appartiennent au même registre abstrait. D’une part, une première en solo bruxellois pour le belgo-français Mathieu Bonardet (1989), lauréat du prix Matsutani 2024, en la galerie Michèle Schoonjans. Pour la première fois, ce dessinateur à l’expression minimaliste joint l’intervention des pastels de couleur à ses réalisations au graphite privilégiant le noir et blanc. Toujours présentes, la précision et la méticulosité des œuvres se voient dès lors perturbée par des éruptions aux textures d’une densité autre. D’autre part, la galerie QG de Bruxelles, a programmé une exposition du peintre Alain Biltereyst (1965, vit à Bruxelles) dont la particularité du travail pictural scrupuleusement abstrait et au motif monochrome, est d’emprunter les sujets à l’imagerie peinte sur des camions, à des graphismes de rue ou de marques. En sélectionnant un détail il détourne l’enseigne de son utilisation initiale et la rend abstraite. Par ailleurs, en 2023 à l’occasion d’une exposition à la galerie Dutko à Paris, Guy Leclercq (Opbrakel, 1940) modifie sa palette en introduisant des coloris toujours doux mais nettement plus affirmés et variés. Option qu’il confirme dans l’expo de septembre en la galerie Faider à Bruxelles. On y retrouve ses agencements de figures à géométries variables et les jeux subtils d’intensités lumineuses modulées dans les tonalités choisies. Les superpositions et imbrications de plans installent dans l’espace du support des structures apparentées à des sculptures constructivistes, sans socle, flottantes et en volumes ouverts.
On clôturera ce petit tour de la peinture abstraite actuelle par l’exposition de Mario De Brabandere (1963, vit à Gand) en la galerie gantoise de Kristof De Clercq. Dans ses œuvres récentes, l’artiste a libéré ses traits et ses formes en leur octroyant une certaine fantaisie, un air de spontanéité et une belle vivacité dansante. Il a aussi a adouci et varié sa palette chromatique devenue très avenante.
C. Lorent
Fiona Rae, Ensemble, galerie Nathalie Obadia, 3, rue du Cloître Saint-Merri, Paris 4e. Du 6 septembre au 25 octobre 2025.
Niele Toroni, galerie Edouard Simoens, Zeedijk 811, Knokke. Du 2 août au 30 septembre 2025.
Keith Coventry, galerie De Brock, Zeedijk 758, Knokke. Jusqu’au 7 septembre 2025.
Sol LeWitt, galerie Greta Meert, 13 rue du Canal, 1000 Bruxelles. Du 4 septembre au 25 octobre 2025.
Marc Renard, Résurgence, galerie Richard, 74 rue de Turenne / 3 Impasse Saint-Claude, 75003 Paris. Du 30 août au 4 octobre 2025.
Léon Wuidar et Brooklin A. Soumahoro, Des géométries instables, galerie Rodolphe Janssen, rue de Livourne 35, 1050 Bruxelles. Du 4 septembre au 25 octobre 2025.
Léon Wuidar, Um Die Ecke, Ikob, Rotenberg 12B, 4700 Eupen. Du 16 septembre au 30 novembre 2025.
Jonathan Steelandt, Photographies, Le salon d’art, Rue de l’Hôtel des Monnaies, 81, 1060 Bruxelles. Jusqu’au 25 octobre.
Anne Boland, Joyful, The Palm Beach Gallery, rue Meyerbeer, 61, 1190 Bruxelles. Du 18 Septembre au 25 octobre 2025.
Mathieu Bonardet, Chaosmos, galerie Michèle Schoonjans, 690 & 25 Chaussée de Waterloo, 1180 Bruxelles. Du 04 Septembre au 25 Octobre 2025.
Alain Biltereyst, Slow Noise, galerie QG Bruxelles, rue Saint-Georges 13, 1050 Ixelles. Du 4 septembre au 31 octobre 2025.
Guy Leclercq, De la couleur exactement, expo et publication avec texte de Roger Pierre Turine. Galerie Faider, 12 rue Faider, 1060 Bruxelles. Du 4 septembre au 11 octobre 2025.
Mario De Brabandere, galerie Kristof De Clercq, Tichelrei 86, 9000 Gand. Jusqu’au 21 September 2025.
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