Dans la plupart des pays, l’usage de l’affiche est quasi réservé à la consommation. Il arrive qu’en période électorale elle prenne une allure davantage politique. Encore que l’aspect propagande recouvre un autre type de marché, celui des voix à récolter pour être élu. Pourtant, depuis que l’affiche existe, elle est aussi médiatrice de messages incitant à la réflexion, à l’action revendicatrice. C’est à cela que, depuis 1978, se consacrent les triennales de Mons.
Cette 13e édition offre, comme les précédentes, un échantillon significatif des réactions aux problèmes sociétaux et des moyens graphiques utilisés pour envoyer des messages forts aux citoyens autant qu’à leurs dirigeants. Les métaphores, les métonymies ou les synecdoques visuelles sont les procédés les plus fréquents. Mais on trouve aussi d’offensifs oxymorons et quelquefois des litotes qui demeurent proches de l’ironie. Et, puisqu’il convient d’être concis afin de frapper le regard et donc le cerveau, les ellipses sont souvent présentes.
Il arrive que le propos demeure ambigu. La Joconde de Léonard de Vinci, affublée d’une burka par Drumeva (4e prix) semble dire soit que l’art est occulté par les djihadistes, soit que même voilée une femme reste identifiable. Le fragment de main aux ongles crasseux de Nuckowsk (3e prix) semble signifier à la fois que, pour faire de la politique, il ne faut pas craindre de se salir les mains afin d’agir efficacement et que lorsqu’on est politicien, on finit par avoir des mains pas très propres si elles se retrouvent dans l’une ou l’autre combine.
Démocraties fissurées
Le fonctionnement des démocraties, précisément, interpelle. Le Polonais Lis se souvient de Pinocchio dont le nez s’allongeait chaque fois qu’il proférait un mensonge. Ici, le menteur est un politicien dont l’appendice nasal prend manifestement la direction du cul d’un citoyen. Son compatriote, Kulczyk, renchérit en superposant deux mains : une qui arbore le V de la victoire à la chute du communisme en 1989 et une qui brandit un doigt d’honneur en 2015. Une autre concitoyenne dresse une manche à air flottant à tous les vents pour définir les opinions politiques. Göde exprime le souhait de voir le tyran de Corée du Nord éclater avec la bulle d’eau polluée qui le contient.
Accompagnées d’un slogan électoral dont une lettre, selon qu’on l’enlève ou la conserve, change radicalement le sens, trois affiches de Javorik frappent par leur graphisme épuré. Vukovic se contente d’un jeu de mots : le nom russe de Putin est barré en sa dernière syllabe par un ‘out’. On ne saurait être plus clair ! Palatianou constate que le jeu de cartes que tiennent les grands dirigeants comporte un seul cœur contre une majorité de missiles et d’armes nucléaires.
L’austérité imposée à certains pays par les institutions financières est inéquitable comme le démontre Ballargeon avec ce chapeau tendu par un bras de nanti à un bras de démuni déposant une obole. Quant au manque de conscientisation citoyenne, elle surgit à travers le smartphone que la Belge Catherine Chalon transforme en miroir magique pour exercice de narcissisme exacerbé. De son côté, Gramlich, en une vertigineuse mise en abyme, rappelle combien l’information entretient un climat de terreur. Il est vrai que, à en croire Depta, le drapeau étoilé de l’Europe est seulement en phase de chargement électronique.
Paroles molestées
Dans un monde où l’agitation sociale est permanente, il y a matière. Même et peut-être surtout dans les régions où la liberté d’expression est brimée. Une réalisation coréenne présente une tête rouge sans visage, en forme de carte géographique et au cou cerclé de fils de fer barbelés pour demander la libération des Ouïghours. Le Mexicain Montes de Oca (prix de la Triennale) dessine de manière très expressionniste un visage de plus en plus étranglé dans des mailles envahissantes.
Arezu Ahmadi dénonce l’apparence trompeuse d’une ‘démocratie’, en Iran, en fichant le stylo – outil des journalistes et écrivains – dans la planchette d’un piège à souris prêt à se refermer dès qu’il bougera un peu. Dans le même ordre d’idées, Matthies enserre au moyen de barbelés un stylo plume métonymique.
Xin Wu campe un homme en train de se débarrasser de la cage qui enferme ses pensées tandis que son compatriote Rui Tang bâillonne deux caractères d’imprimerie par une solide corde. De son côté, Huo Wenjie symbolise la Chine par le vide d’une page blanche flanquée du signal visuel de l’indisponibilité d’une image sur le net ou encore par une silhouette sombre incarcérée derrière des barreaux. Mingliang (prix du Centre mondial de la Paix de Verdun) inscrit sur ciel noir un ballon d’hydrogène immaculé à l’aspect d’un phylactère de bd retenu au sol par des barbelés.
Paix bafouées
L’état récurrent de la latence des conflits armés tient bonne place dans la thématique des graphistes affichistes. Les difficultés à s’entendre entre pays ont inspiré le Polonais Frydrychowicz : il caricature un trio de dirigeants d’état réunis pour négocier, arborant, en guise de couvre-chefs, des engins militaires meurtriers. Mingliang, sur fond monochrome rouge, concentre l’idée des ravages des conflits sur les citoyens en faisant défiler un tank sur les têtes de citoyens alignés, lesquelles deviennent les roues motrices de l’engin.
Ailleurs, voici un fusil mitrailleur joyeusement bariolé de drapeaux de nations diverses. Ou une cible porteuse de deux impacts de balles sur les mots Georgie et Ukraine avec légende « Qui est le prochain ? » : Lithuanie, Finlande, Allemagne, Belgique ? Anna Gisela appose sur papier une main dressée, signe habituel d’une demande d’arrêt. Mais elle en accentue la portée en faisant en sorte que la paume prend l’aspect d’un homme à genoux en pleurs et que les doigts verticalement tendus s’apparentent à des stèles funéraires.
Hoon-Dong Chun disperse les lettres qui composent « Israël » et « Palestine » donnant un éclat particulier à celles qui forment « Please ». Un tissu de vêtement traversé par des impacts de balles, un pointillé de frontière et le titre « Massacre de civils iraniens » atteste de la cruauté d’un conflit interminable pour le Belge Jean-Paul Rouard. Le pourquoi réel des massacres, Trybis le placarde en engluant de pétrole brut les visages de Kahmenei, Poutine, Al Saoud et Obama.
Renforcer la difficulté de dialogue entre des peuples différents au moyen de barrières, palissades, clôtures, grillages, murs bétonnés… apparaît aberrant avec une indéniable force graphique pour Sarah Fouquet. Tacher de rouge l’espace vert de l’espérance des ‘printemps arabes’, c’est, selon Nicos Terzis, montrer que ce fut un échec sanguinolent. Sur ce même thème, la colombe conçue par Nosrati contient en son corps un corbeau dont on sait qu’il est charognard. La synthèse, c’est Daali qui la réalise avec un photomontage sur champs de ruines sur lesquels apparaît une sorte de visage aux yeux en forme de bombardiers dont les larmes sont les bombes larguées.
Racisme et sexisme ordinaires
L’ambigüité du mot « blanc » prend tout son sens lorsque Lex Drewinski l’accole à « Noël » et que la silhouette du sapin qu’il dessine ressemble furieusement à un masque du Ku-Klux-Klan. Cet oxymore absolu ne peut que frapper les esprits. Le Turc Arslan prend à la lettre l’expression langue de vipère en mettant ce reptile dans la bouche du xénophobe. Suite à une série de contrôles policiers mortifères aux USA sur une population de couleur, trois mots sont placardés par un jeune Noir : Paix-Justice-Vérité : Erin Wright les revendique.
She Feng décline une robe suspendue mais maculée et abîmée pour nous interroger : épouse ou marionnette manipulée par quelque pervers narcissique ? En joyeuses couleurs, Verillon rappelle que l’égalité ce doit durer toute l’année alors que Boianov assène aux rétines un contraste violent de la blancheur d’un nu féminin souillé par la trace noircie de mains profanatrices.
Exils forcés
Les conflits armés, le terrorisme et les inégalités économiques ont jeté sur les routes et les mers des individus et des familles. Trouver refuge auprès de nations mieux nanties et moins victimes de rivalités sanglantes, est un objectif ardu. Ce qu’Antolak traduit par un labyrinthe dans lequel sont dispersées les lettres du mot « réfugiés ». Ce que Szybo (2e prix) résume par des compositions géométriques similaires.
Buczek Smith synthétise au moyen d’une fragile embarcation de papier transportant un récipient d’où sortent des mains désespérées. Le flou volontaire d’une photo de chaloupe ballotée sur la mer permet à Imboden de montrer la même vulnérabilité. Mais cela se sait, l’accueil est souvent loin d’être chaleureux. En témoigne un ironique panneau routier de Blazejczyk qui souhaite la bienvenue en une Pologne hérissée d’églises catholiques.
Symbole de la complexité d’une insertion en une contrée étrangère, sur le fond vert d’une espérance, un arbre noir s’enracine profondément tandis que ses branches en forme de flèches de directions prolifèrent en tous sens.
Écologie contaminée
Saisissant, cette fusion entre un œil serti dans une paupière et la bonde d’un évier ou d’une baignoire, le tout sur fond de rouille, pour que le Jordanien Mazhar Hadda puisse exprimer qu’une fois l’eau gaspillée, il ne reste que les larmes. Ce même graphiste parodie le thème classique d’Ève et Adam tentés par le serpent au jardin d’Eden. Nos ancêtres bibliques y sont obèses et la pomme s’est métamorphosée en hamburger ! Sur la malbouffe encore, Bujny ironise avec une ceinture de petites saucisses explosives pour suicide volontaire plus expéditif que celui de l’homme campé par Pietrek, avachi et ventripotent face à son hypnotique télévision.
Usant de la métaphore du champignon atomique concrétisé par un sac plastique, Nostrati prophétise la destruction de la planète par l’envahissement des déchets. Scott Laserow s’approprie la faux légendaire de la Mort dans les légendes anciennes pour la refiler à la multinationale de produits chimiques Monsanto.
Pourtant, peu de choses bougent. Sur l’affiche signée Dugudus, les responsables de la conférence mondiale sur le climat sont en position attentiste tandis que les océans saignent. Sébastien Marchal brandit le poing de la révolte, un poing fait de végétation verdoyante.
Ce foisonnement graphique est salutaire. Il mérite plusieurs visites car le risque de saturation est grand. Et il faut un minimum de temps pour se laisser prendre par les messages envoyés dont les codes ne sont pas toujours accessibles sans références culturelles précises. N’empêche, voilà qui nous change des panneaux publicitaires racoleurs, érotisés à outrance, embellis par des artifices techniques de photographes manipulateurs où l’avoir et le paraître sont plus essentiels que l’être.
Michel Voiturier
La 13e triennale de l’affiche politique est à voir à Mons jusqu’au 24 juin au Mons Memorial Museum, 51 boulevard Dolez et au Mundaneum, 76 rue de Nimy. Infos : +32 (0)65 40 53 76 ou (0032) 065 31 53 43 ou http://lieu.mundaneum.org ou http://www.monsmemorialmuseum.mons.be/
Catalogue : « 13e triennale internationale de l’affiche politique », Mons, Memorial Museum/Mundaneum, 2016, 112 p.
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