Le Kunstenfestivaldesarts, de la scène aux arts visuels

otobong nkanga

 

L’édition 2017 défend plus que jamais la porosité des disciplines et des interventions sensorielles. Au travers d’artistes visuels qui flirtent avec la scène, de performers qui triturent la matière et d’un dialogue avec le Wiels, via Le Musée absent.

Cette année, il sera plus que jamais question de transdisciplinarité et de projets hybrides qui échappent à toute classification, martèle Christophe Slagmuylder, directeur du festival. L’accent sera porté sur l’expérience sensible, poly-sensorielle, et des formes d’empathie, au travers d’ espaces de partage. Autant de bulles d’oxygène dans un climat socio-politique cloisonné et délétère. L’ambition étant de transcender les différences, de recréer du lien au sein de sociétés contrastées, avec de nombreuses créations qui traversent les genres et défient les formats traditionnels.

En dérive une nouvelle collaboration avec le Wiels, à l’occasion des 10 ans du centre d’art, sous forme de dialogue avec une vaste exposition, The Absent museum –qui s’étale sur 3 lieux adjacents: le Wiels, le Brass et le Métropole- et questionne l’absence et la création si attendue, mais aussi le rôle d’un musée d’art contemporain dans la capitale de l’Europe, entre histoire locale et globalisation.

Performance politique

Au sein de ce Musée absent, des artistes protéiformes, entre arts visuels et de la scène, investissent l’espace à leur façon, singulière. Dans sa performance ‘The guided tour once we shared consequent masturbation’, Nastio Mosquito se mue en guide qui mène des réfugiés, sans-abris et autres laissés-pour-compte dans l’exposition. Il questionne ici la surpuissance du discours curatorial, voire politique, au travers d’un récit parallèle fictif.

Egalement titillée par la pratique curatoriale et les liens entre artistes, institutions et public, Lili Reynaud Dewar présente un micro-opéra inspiré d’événements récents. La trame: dans une ville traumatisée par l’assassinat d’un jeune homme par la police, un musée expose des oeuvres conçues à partir d’images d’archives de violences policières. La tension monte entre des employés du musée, relayés par des artistes locaux et l’artiste concerné, amené à se justifier.

A partir d’objets du quotidien et de phénomènes sensoriels, liés au son, à la lumière, au corps et à la voix, Tetsuya Umeda propose un parcours de mini-happenings, en lien avec le quartier du Wiels et ses habitants. Au fil de ‘stations’ émergent différentes constellations humaines soniques et spatiales, à partir d’une comptine enfantine chantée en boucle.

Interaction et son

D’interaction il est encore question dans les propositions sonores de trois artistes partiellement établis à Beyrouth. Tarek Ataoui, qui vit surtout à Paris, explore les mouvements entre l’art cinétique et l’art sonore, et développe de nouveaux modes physiques, tactiles, visuels et auditifs de perception du son, à partir du matériau numérique. Au centre du festival, il expose divers instruments dans un espace-atelier qu’il partage avec des musiciens bruxellois et internationaux, invités à donner des improvisations libres sur base des pratiques du deep-listening et du massage auditif.

De son côté, Lawrence Abu Hamdan explore les liens entre l’écoute, la politique, les droits humains et la réalité, et conçoit des techniques inédites d’écoute en relation avec l’architecture ou le contexte. Pour Bird Watching, il a collaboré avec Amnesty International et Forensic Architecture dans le cadre d’une enquête acoustique à la prison de Saydnaya, à 25 km de Damas.

Monira Al Qadiri développe un monologue à la villa Empain, fidèle au thème qui lui est cher: les glissements culturels et identitaires. Enfant, elle est fascinée par les dessins animés japonais doublés en arabe. Dans ‘Feeling dubbing’, elle puise dans le processus de doublage pour édifier une sculpture sonore. Sa performance est doublée en langue arabe. C’est une pièce lucide et ludique sur la confusion que sème dans nos vies le flux des images de la culture populaire. C’est également la première fois que l’artiste visuelle s’essaie à la performance.

Toucher rituel

Le toucher s’infiltre tout autant au sein de la programmation, animé par différents artistes et chorégraphes. Ainsi en ouverture, dans la lignée de la Brésilienne Lygia Clark et d’autres artistes sud-américains, Eszter Salamon rend hommage aux danses traditionnelles, qu’elle exhume d’un passé enfoui par la modernité, avec ‘Landing’, un rituel de danse et de chant de la tribu des Mapuches, revisité.

Tout aussi sensible aux questions de tradition culturelle, de colonialisme et de normalisation esthétique, Fabian Barba s’associe au plasticien Esteban Donoso pour faire émerger une danse du toucher. Leur intervention, un ‘Jardin de Limaces’ (Slugs Garden) entre exposition, masterclass et installation-performance immersive, invite le spectateur à une longue errance tactile, couché au sol et les yeux fermés, à la rencontre de corps et d’objets.

Egalement préoccupée par les questions postcoloniales et environnementales, Otobong Nkanga, dans ‘ Forget Me Not’ interroge les notions d’ ’indigène’ ou ‘étranger’ à partir d’une installation composée d’une diversité de plantes dont le myosotis australis, aussi connu sous le nom de ‘ne m’oubliez pas’. Chaque jour du festival à la même heure, un performeur y proposera un acte poétique.

Citons encore, parmi les interventions les plus attendues de cette édition, l’artiste et activiste cubaine Tania Bruguera, qui travaille sur les notions de contrôle et d’enfermement, et sur le poids du pouvoir politique et économique sur les individus, confrontés à l’oppression, l’angoisse, la fragilité et la dépendance. Dans le cadre du festival, elle crée pour la première fois une pièce de théâtre, à partir de la célèbre oeuvre ‘Endgame’ de Samuel Beckett, postapocalyptique sur la mort et le désespoir à l’état pur, souligne Christophe Slagmuylder. Cette artiste s’intéresse à la proximité immédiate entre les êtres. Pour l’occasion, elle a conçu un cylindre de 8,5 mètres de diamètre qui cristallise les relations entre oppresseur et oppressé. A voir dans l’ancien cinéma Marivaux, un lieu également chargé de symbolique.

Catherine Callico

www.kfda.be

 

 

 

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