Picasso, Matisse, Braque et Laurencin… Entre ces grands peintres, un point commun peut être trouvé : leur « agent », Paul Rosenberg, un des marchands d’art les plus célèbres du XXème siècle, qui tenait une galerie au 21 rue La Boétie à Paris. Pour la fin de cette année, le nouveau musée la Boverie ressuscite l’univers de cet ami intime de Picasso et grand-père d’Anne Sinclair.
Du 22 septembre au 29 janvier, la Boverie propose, en collaboration avec Tempora, une deuxième exposition de plus de 60 œuvres. Ce projet fait écho au livre d’Anne Sinclair publié en 2012 chez Grasset (21 rue La Boétie) où elle plonge dans son passé familial et nous raconte la vie exceptionnelle de son aïeul.
Paul Rosenberg fut un grand nom de l’art du siècle passé. En effet, le galeriste bénéficiait de contrats d’exclusivité avec Matisse, Braque et Picasso, étant ainsi leur « marchand officiel ». Mais si ce « marchand » (terme abondamment nuancé par Sinclair) se fit une si grande renommée, ce n’est pas uniquement par ses qualités commerciales mais surtout grâce aux profondes relations qu’il tissa avec les avant-gardistes. En particulier, Picasso, « le plus grand artiste du monde aujourd’hui » selon Rosenberg, qui lui doit beaucoup dans le décollage de sa carrière.
Cependant, suite à la pression allemande, en 1940, Rosenberg dut émigrer aux Etats-Unis, aidé par Alfred Barr, conservateur du MoMA. Sentant que l’avenir de l’art allait désormais se jouer sur le continent américain, il y continua les affaires mais sans grand succès. « Je compte sur une foule nombreuse, c’est-à-dire trois visiteurs par jour ! » confia-t-il ironiquement à propos de sa galerie. Selon lui, les Américains avaient un certain retard esthétique sur l’ancien continent, préférant Rembrandt aux avant-gardes.
La guerre, les pillages, les ventes ont dispersés les œuvres de Paul Rosenberg. La Boverie a donc dû faire appel à des collectionneurs privés, au MoMA, au Centre Pompidou et à d’autres établissements pour pouvoir mettre sur pied ce projet. Avec de nombreuses œuvres de Picasso, maintes peintures de Braque, plusieurs Léger, quelques Laurencin, un petit nombre de Matisse, une poignée d’impressionnistes, l’exposition se veut riche et foisonnante.
De plus, cette exposition a ceci de séduisant qu’elle permet d’établir un lien entre l’Art et l’Histoire. Une large salle plonge le visiteur dans le sort de l’histoire de l’art durant la montée du nazisme. Le régime allemand, prônant un art plus traditionnel, condamna l’art moderne, un « art dégénéré » et organisa d’ailleurs la vente de Lucerne en 1939. Paul Rosenberg s’y opposa fortement, invitant ces collègues à boycotter cette vente ayant pour but d’alimenter les caisses de l’état allemand. Pour illustrer cette réécriture de l’histoire de l’art par les nazis, la Boverie met en scène des couples de peintures, l’une de « l’art dégénéré », l’autre de l’art traditionnel germanique. Le spectateur peut ainsi tirer ses conclusions de la confrontation entre des chevaux peints de manière traditionnelle et les chevaux bleus de Franz Marc, entre un paysage conventionnel et « La Maison bleue » de Chagall….
Mais l’Histoire représentée au cours de cette exposition n’est pas uniquement celle que l’on écrit avec un grand H. Grâce aux documents d’époque, aux anecdotes, aux photographies, « 21 rue La Boétie » nous fait rentrer dans l’intimité d’un homme et de sa famille. Par exemple, le « Portrait de Madame Rosenberg et sa fille » témoigne des liens de Picasso avec son marchand. L’exposition se clôture en beauté sur un sublime portrait d’Anne Sinclair à 4 ans par Marie Laurencin, un tendre visage aux yeux bleus selon la demande de l’enfant qui ne voulait apparemment pas des habituels yeux noirs à la Laurencin.
Romain Masquelier
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