« Notre fragilité est ce qui nous rend uniques », Etgar Keret
Portée par le duo de curateurs Sam Bardaouil et Till Fellrath (1), cette 16ème édition de la Biennale de Lyon, comme nulle autre auparavant, dialogue de manière résolument étroite avec le territoire en investissant nombre de lieux pour le moins emblématiques de l’ancienne capitale des Gaules. « Pour nous, ce qui a mon sens nous caractérise, c’est en premier lieu cet accent que nous mettons sur la ville, soit au niveau du parcours, soit au niveau de son histoire. Cette biennale n’aurait pas pu être présentée ailleurs, quand bien même nous débordons les questions purement locales. »(2), Impliqués dans une démarche curatoriale engagée qui convoque autant le passé que le présent et ses potentialités futures, et ce dans un va-et-vient constant qui recourt tout à la fois à la fiction et à la réalité, les curateurs ont personnifié leur quête de la fragilité et de la résilience en suivant la trace de Louise Brunet, une fileuse qui aurait pris part à la Révolte des Canuts en 1834 avant d’emprunter la mythique et tumultueuse route de la soie qui mène jusqu’au Mont Liban à Beyrouth, pour inviter le public à faire l’expérience d’un récit polyphonique aux sinuosités et ramifications multiples. Un parti pris singulier et hautement ambitieux puisqu’il dépasse très largement la géographie et les parentés transhistoriques initiées jusqu’alors.
Depuis sa création en 1991, la Biennale de Lyon s’est emparée de divers espaces aux identités plurielles (publics et privés, institutions muséales, friches industrielles) reliant généralement le centre de la ville à la périphérie dans le but de renforcer son adhésion tant au territoire qu’auprès de ses habitant.e.s. Cette édition qui rassemble quatre-vingt sept artistes contemporains internationaux — en ce compris duos et collectifs —, ainsi qu’une importante quantité de pièces de collections provenant des quatre coins du monde, prend ses quartiers au sein de treize sites si on y inclut l’Institut d’Art Contemporain de Villeurbanne, conviant tout quidam motivé à parcourir une vaste étendue de l’agglomération lyonnaise pour appréhender la manifestation dans son intégralité. Comptabilisant, par ailleurs, une centaine de commandes pour des créations et installations spécifiques, dont la grande majorité a été passée à des artistes âgé.e.s de moins de quarante ans, Sam Bardaouil et Till Fellrath affichent un soutien conséquent à la jeune création mais sans pour autant délaisser les générations précédentes ; un engagement curatorial qui s’appréhende avec une certaine acuité dans les deux reconstructions historiques présentées au Musée d’art contemporain – MacLYON que sont Les nombreuses vies et morts de Louise Brunet et Beyrouth et les Golden Sixties.
Un monde d’une promesse infinie
Après la Halle Tony Garnier et la Sucrière, c’est au tour des Usines Fagor de s’imposer, pour la seconde édition consécutive, comme la place centrale à partir de laquelle se déploie l’ensemble du dispositif curatorial. À lui seul, ce gigantesque bâtiment industriel abrite les créations, souvent monumentales et in situ, d’une cinquantaine d’artistes. Tandis que certain.e.s ne sont visibles qu’à cet endroit précis ou dans un autre espace en particulier, une large part a été invitée à disséminer ses productions au gré des espaces qui jalonnent le parcours, à l’exemple des compositions texturées de Yunyao ZHANG et des expérimentations picturales de Chafa GHADDAR qui entrent admirablement en résonance avec l’architecture et les collections permanentes des lieux qui les accueillent ou encore les neuf tirages composites sur papier doré de la série 2nd July, 2020 réalisée par Munem WASIF qui ponctuent avec beaucoup de justesse les différents espaces desaffectés de ce majestueux bâtiment qu’était autrefois le Musée Guimet. Quant au dispositif déambulatoire et immersif en trois parties d’Aurélie PÉTREL, intitulé Minuit chez Roland [31 décembre], 2022, il a été spécifiquement conçu pour s’intégrer dans des contextes aussi variés que celui du Parc de la Tête d’Or, du parking LPA-République et des Usines Fagor.
Épaulés par l’artiste et architecte Olivier Goethals dans l’adaptation et la mise en oeuvre des scénographies propres à chaque site (3), les commissaires ont, pour la première fois dans l’histoire de la Biennale, mis en avant le riche patrimoine culturel de la ville en initiant des collaborations significatives avec les musées et institutions publiques garantes de sa mémoire. Et si nombreuses sont les propositions artistiques ayant réussi le pari de répondre aux exigences de leur environnement, on peut cependant déplorer la récurrence, par son caractère trop manifeste, des Moss People de Kim SIMONSSON dans quasi chacun des recoins du parcours, ainsi que l’absence de véritables dispositifs de réception pour les oeuvres sonores de James WEBB installées dans l’espace public. Assurément, manifesto of fragility est une édition qui restera dans les annales mais qui, pour bien la saisir, demande qu’on lui accorde du temps.
Clémentine Davin
16e Biennale de Lyon manifesto of fragility, jusqu’au 31 décembre 2022
www.labiennaledelyon.com
1 http://new.artreoriented.com/about/
2 Citation de Sam Bardaouil, extraite de son interview par Richard Leydier parue dans ArtPress Magazine, n°502, p. 26.
3 Plus spécifiquement aux Usines Fagor, au Musée Guimet (ancien musée d’histoire naturelle) et à Lugdunum – Musée et théâtres romains
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